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L’Œuvre socio-éducative des Bourses du travail

Le jeudi 20 mai 1982.

La fin du siècle dernier a vu se développer en France un large mouvement d’éducation populaire. Influencé par un humanisme socialisant, ce mouvement bénévole comprenait l’instruction des adultes, l’école laïque et l’assistance sociale. Il a pour objectif inavoué l’aménagement du système capitaliste. Pourtant, dans ce concert d’un réformisme bon teint, une voix va se faire entendre : celle des anarchistes et des premières organisations syndicales…



Intégration ou subversion ?

Dès son apparition, l’éducation populaire se partage entre deux idéologies.

— Le courant majoritaire est représenté par une frange humaniste de la bourgeoisie. Construit autour d’un projet de démocratisation culturelle, il présente l’éducation populaire comme la suite naturelle et logique d’un progrès continu. Inutile d’insister sur ses fortes tendances d’intégration au système dominant. Ce courant met l’accent sur la diffusion de la culture, et non sur son contenu. D’autre part, il vise à gommer les inégalités culturelles en laissant subsister les inégalités sociales qui découlent des rapports de production. Son but est d’établir un consensus national. Aujourd’hui encore, ce courant est prédominant dans le domaine de l’action socio-culturelle.

— le courant minoritaire rassemble ses adhérents à partir de leur situation de travailleurs. Il apparaît à travers les premières organisations syndicales, puis les dépasse peu à peu en suscitant des mouvements prenant leur propre autonomie. Son objectif est double : assurer la prise en charge par les travailleurs eux-mêmes de leur éducation ; démontrer les inégalités de l’organisation sociale pour former des militants prêts à les faire disparaître.

C’est bien sûr dans cette optique révolutionnaire que va s’exercer l’action socio-éducative des Bourses du travail…

Instruire pour révolter

À partir des années 1870, les anarchistes organisent la mise en place des Bourses du travail : centres d’action commune de tous les syndicats dans une localité. Les tâches affectées aux Bourses sont diverses : service de propagande, service de résistance, service de mutuelle et de coopérative, service d’enseignement. Ce dernier service comprend la bibliothèque, l’office de renseignement, le musée social, les cours professionnels et les cours d’enseignement général. On s’aperçoit tout de suite que l’éducation est une préoccupation importante chez les syndicalistes. Comme le dit Fernand Pelloutier, il s’agit de donner à l’ouvrier « la science de son malheur ».

L’idée-force de cette éducation entreprise par les Bourses du travail se résume surtout dans le concept d’action directe. L’action directe, dans le domaine social, signifie la prise en charge des luttes par les travailleurs eux-mêmes, sans délégation de pouvoir. Elle s’oppose à l’action parlementaire indirecte. Or, pour les syndicalistes libertaires, il en va de même de l’éducation comme de l’action sociale. Si, comme le dit la formule, l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, alors l’éducation de la classe ouvrière ne pourra être qu’une auto-éducation. Les Bourses du travail ne conçoivent l’éducation populaire qu’à travers cette forme pédagogique. Ainsi, lorsque Pelloutier étudie les moyens mis à la disposition des travailleurs pour s’instruire, il ne cite à aucun moment le mouvement des universités populaires. En effet, ces écoles pour les ouvriers ne sont pas les écoles des ouvriers, à la différence des Bourses du travail. En ce qui concerne l’enseignement général, là encore, la position des Bourses diverge avec celle de l’ensemble des mouvements d’éducation populaire. Les anarcho-syndicalistes sont résolument hostiles au monopole d’État en matière d’enseignement. Leur position est déjà celle de la Première Internationale. Ce fut, dans le passé, la position de Proudhon, puis celle de la Commune. Mais il s’agit pour les libertaires de ne pas en rester au niveau des principes. Si l’enseignement d’État est un enseignement de classe, il faut répliquer en organisant un enseignement général à l’intérieur des Bourses.

Malheureusement, au fur et à mesure, les efforts socio-éducatifs entrepris par les syndicalistes vont se heurter au développement de la répression, à la montée du marxisme et à la Première Guerre mondiale. L’œuvre des Bourses du travail restera néanmoins l’exemple historique d’un certain type d’éducation populaire.

Éric DUSSART (Groupe de Lille)