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« L’Amour tarde à Dijon »

Jacques Vallet
Le jeudi 22 mai 1997.

À Dijon, deux frêres cultivateurs sont retrouvés cuités à mort. Les gendarmes classent l’affaire. Le Poulpe doute du suicide. Son arrivée coïncide avec une mutinerie à la maison d’arrêt et un scandale à la cathédrale St-Bégnine. Une effervescence meurtrière entoure la ville et il souffle un vent de folie sur la gendarmerie.

On connait le faible de Jacques Vallet pour la poulaille, la flicaille, les estampes immobilières japonaises. En rédigeant ce conte cruellement réel il s’est naturellement laissé aller à ses facheux penchants. On ne voulait donc pas en rajouter avec une petite critique d’ascenseur. De plus, seul, un journal, Le Canard enchainé, a parlé du bouquin pour le bombarder de louanges.... Et puis, voila t-y pas que L’amour tarde.. nous est monté au nez, qu’elle a piqué au vif des tas de lecteurs de roman noir. Elle est au hit parade des ventes trois semaines encore après sa parution. Fidèles à notre habitude de voler au secours du succès, nous avons sans hésitation demandé à Gérard Jean une vraie critique en or massif ; La voila.
A. Z



« Ni un vengeur, ni le représentant d’une loi ou d’une morale, un enquéteur un peu plus libertaire que d’habitude, surtout un témoin… », c’est ainsi que la collection « Le Poulpe » nous présente une nouvelle fois, avec ce « Roman Noir » de Jacques Vallet, le personnage de Gabriel Lecouvreur..

Un Poulpe qui ne boit que de la bière, pourrait-il digérer que deux frères ruinés, cultivateurs du coté de Dijon, puissent se suicider en absorbant quinze litres de vin rouge et quatre litres d’eau de vie, sans avoir bénéficié d’une aide charitable.

Au dela d’un fait-divers sordide relaté dans le journal local, le Poulpe « …comprit qu’il allait quitter à nouveau l’anfractuosité de son repaire pour partir en quète d’un possible… » et fourrer ses tentacules dans les rouages grinçants de la société dijonnaise..

En trois coups de cuiller à pot.. de moutarde, sans y aller avec le dos de la cuillère, Jacques Vallet règle son compte à des institutions mortifères : la prison, où « les détenus étaient à trois par cellule dans sept mètres carrés », la gendarmerie : .« …À la façon dont le type donnait des coup de poing dans les reins, Gabriel comprit que ses agresseurs étaient des gendarmes » ou encore ; « c’est un sadique […] il a mème été nommé brigadier-chef l’année dernière. Vous connaissez les difficultés et les faiblesses du recrutement..?. »

L’Église, quand il s’agit en particulier du Saint Pèze… « L’Octopus Deî ». L’Administration : « Beaucoup d’argent circulait entre l’État et les entrepreneurs. Par l’intermédiaire des gens de la mairie qui en tiraient des bénéfices substantiels. ». La Guerre économique mondiale : « La crise économique sur l’archipel a poussé les gangs japonais à rechercher de nouvelles ressources à l’étranger. Qui n’a pas entendu parler du rachat de somptueuses propriétés en Bourgogne par les japonais ? »

Gabriel Lecouvreur, le héros de l’histoire deJacques Vallet agrémente ses soliloques de quelques arômates sous la forme d’adages, de maximes empruntés à un auteur méconnu, Maxime Forneret : « Le malheur a un bord et un fond. On attend que nous soyons au fond pour nous demander comment nous sommes arrivés au bord. »

Bref, voila un Poulpe à la sauce libertaire relevée, dans lequel celui qui se mêle de ce qui le regarde essaie d’apporter une certaine cohérence entre sa pensée et son action, ne refusant pas au besoin la manière « extra-forte » pour tenter de remettre un peu d’harmonie dans un monde en capilotade.

Gérard Jean


Éditions Baleine, Collection le Poulpe, 166 pages, 39 FF.