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Lille, Roubaix, Tourcoing, Mons-en-Barœul

Les Représentants de l’extrême

Le jeudi 23 mars 1989.

Quatre villes du Nord retiennent notre attention : Lille, Roubaix, Tourcoing et Mons-en-Barœul. Sur Lille, Pierre Ceyrac : une carte de visite internationale qui fait de lui un des chefs de file de l’extrême droite européenne. Son histoire personnelle nous donne la signification même de son action et nous explique comment il a pu arriver là où il est aujourd’hui.

Pierre Ceyrac est l’ancien président de l’association Causa-France (en clair le représentant de la secte Moon) et, par la même, responsable européen de la secte. Il est fondateur de « SOS Droit de l’homme » — toujours Moon —, une organisation cousine de la « Freedom Leadership Foundation », dénoncée pour avoir soutenu financièrement la contra contre le Nicaragua. Il a été à la tête de la « Fondation pour la paix internationale » de 1984 à 1986 (encore et toujours… la secte Moon). Il est également fondateur de l’« Institut pour le conseil de défense de l’Europe ».

Pierre Ceyrac est ancien député du Front national du Nord, actuellement secrétaire national à la coopération et responsable des relations internationales du Front national.

Pierre Ceyrac a fait beaucoup plus fort que son oncle, un autre Ceyrac. Celui-là était président du CNPF… Cette apparition du CNPF nous semble naturelle, puisque Pierre Ceyrac est soutenu à Lille par le mouvement Entreprise moderne et liberté et la Fédération des indépendants…

« Libérons Lille… »

Son slogan est : « Libérons Lille… ». De quoi ? De la vermine fasciste ? Certes non, quand on voit Ceyrac inscrire pour son soutien le Mouvement de la jeunesse d’Europe (ah ! ces jeunes serveurs disciplinés pour les collages et autres actions non reconnues…).

Ceyrac est l’exemple même du représentant de l’extrême droite qui a pris pour modèle le MSI italien : d’un côté des pratiques institutionnelles (élections), de l’autre des actions extra-parlementaires (les « coups », les attentats perpétrés par des groupuscules, une stratégie de tension…). Sa campagne sur Lille vise à dénoncer les socialistes, qui tiennent Lille depuis plus de 40 ans. Une brochure, tirée à grands frais, tente de montrer les ravages des socialos ; on y lit que le PS fait tout pour développer les soirées « House » et « Acid Music », que le PS incite à la débauche la jeunesse et aide au développement du SIDA en permettant les soirées « gay ». Si le ridicule pouvait tuer, Ceyrac serait mort, enterré.

Son programme : « moraliser la vie publique, faire la chasse à la corruption et au copinage », passer de 3 500 employés municipaux à 2 500 (en clair faire 1 000 chômeurs de plus), alors que plus loin on lit : « Libérons Lille du chômage et de la pauvreté : par l’emploi des Français d’abord […] » (Ceyrac n’a jamais su contrôler ses excès racistes et xénophobes). La suite de son programme est toujours aussi fascisante : la « préférence nationale » est une nécessité pour le travail ou le logement. Ceyrac « lutte » également contre « les chômeurs immigrés professionnels  », contre « la clochardisation professionnelle ». Faut-il rappeler que Patrick le Mauff (SDF : sans domicile fixe) a été tué par des skins le samedi 1er octobre 1988 sur la place Richebé, à Lille, à 200 mètres de la préfecture, mais aussi à 200 mètres du local du Front national ? C’est peut-être de cette manière que Ceyrac veut éliminer ces « parasites de la société », comme les fafs s’amusent à les appeler.

On sait déjà que Pierre Ceyrac veut « supprimer toute aide aux immigrés », mais ce qui attire notre attention, c’est son « aide à la jeunesse » : « nettoyage des bibliothèques municipales pour offrir une véritable neutralité dans les rayons ». Autodafés en série sont donc prévisibles. Ceyrac, ex-dirigeant de l’Église de l’unification, et l’ayatollah Khomeiny brûlant Les Versets sataniques, même combat…

Pour perpétrer les bavures, crimes et autres contrôles musclés et abusifs, Pierre Ceyrac souhaite « renforcer les effectifs et les moyens de la police municipale » et « interdire les affichages ». Qui dit fin des affichages dit fin des colleurs du Front national ! À moins que ces colleurs ne soient directement employés par Ceyrac au service de de police municipale ? Soyons sans crante (!), il nous affirme « faire la chasse au copinage » (sic).

Enfin, Ceyrac prêche, non pas Moon, mais l’union à droite. Si A. Turk refuse, il assure qu’il se présentera au deuxième tour, avec les 10 ou 15% de voix qu’il pense obtenir.

Un personnage connu

Après Lille, une autre grande ville attire le Front national : Roubaix, ex-bastion du socialisme du temps de la SFIO… Un passé oublié. Pour Roubaix, Jean-Pierre Gendron est un personnage connu depuis longtemps dans la région.

Son passé est trop lourd pour qu’on puisse simplement le présenter comme un politicard. Jean-Pierre Gendron est un ancien du Parti des forces nouvelles (PFN). On le trouve à la faculté de Lille III dans le hall avec les mains pleines… pas de cartables ni de stylos, mais une matraque en train de frapper du gauchiste, cela dans les années 75.

Gendron est conseiller régional, ancien attaché parlementaire de Ceyrac… mais, beaucoup moins respectable est sa vice-présidence du Mouvement pour la jeunesse d’Europe. Ses relations internationales ne s’arrêtent pas là, puisqu’il a participé en Allemagne à une réunion organisée par le fils même de Moon.

Jean-Pierre Gendron cherche, depuis des années, à obtenir des responsabilités dans ce mouvement qu’il a rejoint après le PFN. Peut-on considérer qu’il a réussi son avancée en se mariant avec Marie-Caroline Le Pen. « Gendron de Le Pen », une carte de visite qui sert à s’imposer comme chef de file face à Philippeau, qui est passé au Front national en 1984, alors qu’il avait été élu conseiller municipal sur les listes de Diligent.

Il est moins facile de s’imposer à Roubaix qu’à Lille quand on est imposé par le bureau national parisien à des militants nationalistes qui mènent leurs campagnes (anti-immigrés, « protection » des personnes âgées, lutte contre « la délinquance étrangère »…) depuis plusieurs années. N’oublions pas non plus les diverses associations sportives, d’aide aux chômeurs, qui servent de tremplin aux idées nationalistes anti-immigrés, comme les Chevaliers de Roubaix ou « SOS Amitiés Partage ».

Un slogan, pour ces élections municipales à Roubaix : « Pour que Roubaix reste français », plus xénophobe que ça… Philippeau, mis de côté, n’accepte pas cet intrus. Car, pour lui, il n’y a « aucune raison politique ou morale » pour désigner Gendron comme tête de liste avec Marie-Caroline Le Pen en numéro 2. Il y a des tensions à Roubaix pour la place de choix du FN. Philippeau continue d’abattre son rival du FN : « Nous ne sommes pas là pour faire la carrière de qui que ce soit, d’autant que cette personne (Gendron, NDA) n’est pas vitale pour le mouvement ».

Pas « vitaux » en fait, ils le sont tous, et disons même nuisibles pour nos libertés. En conclusion : peut-être deux listes du FN à Roubaix.

Tourcoing : troisième grande ville, et toujours un individu pour la municipalité sous l’étiquette FN, avec une carte de visite bien remplie (trop remplie pour n’être qu’un. « respectable » candidat aux municipales de 1989).

Christian Baeckeroot fut un proche de l’OAS et dirigea les comités Tixier-Vignancour-Jeunes, mais également le mouvement Jeune Révolution. Baeckeroot est ancien député du Nord, secrétaire régional du FN de 1959 à 1962 (un lien avec l’OAS ?) et actuellement membre du bureau politique et trésorier du FN.

À Tourcoing, il s’agit pour le FN d’exacerber les penchants racistes et xénophobes d’une partie de la population, comme cela a été testé à Roubaix. Son programme est clair : dénoncer le laxisme des municipalités précédentes face à la délinquance à la drogue, et promettre « une police municipale ayant des moyens supplémentaires », privilégier le logement « aux Français » en montrant du doigt la ZUP-ghetto de la Bourgogne, lieu d’où le mal provient…

Roubaix et Tourcoing sont deux villes-test pour le FN et les thèses sécuritaires, puisqu’elles sont à la base de la création de milices privées. Leur objectif : développer la police municipale à outrance, armer ces flics de troisième zone, leur donner des pouvoirs quasiment équivalents à ceux de la police nationale et, surtout, pouvoir diriger cette police en tant que maire, faire ainsi la loi sur la ville.

Or, ces thèses ne tiennent pas à l’analyse : au niveau de l’insécurité, Roubaix est à la 16e place, derrière des villes comme Grenoble et Strasbourg, et Tourcoing à la 31e place. « À propos de Tourcoing, c’est un exemple frappant : alors que cette ville présente une forte concentration d’immigrés, il y a deux fois moins de crimes et de délits (pour mille habitants) qu’à Nice ! » (sic) (extrait du Nouvel Observateur).

Toujours dans la communauté urbaine de Lille, on a vu se déployer à Mons-en-Barœul les forces d’extrême droite au grand jour après des élections proposées par Marc Wolf (PS). Il proposait aux immigrés d’avoir des représentants au conseil municipal (il ne s’agit pourtant pas d’un véritable droit de vote, puisque les « élus » n’ont qu’un pouvoir consultatif… bref, rien de bien concluant). Cette légère avancée politique fait comme il se doit bondir nationalistes, fascistes et autres néo-nazis venus protester contre ce fait.

« Lutter contre les socialos-communistes »

Pour Mons-en-Barœul, c’est Marc Wargnier, président du groupe Front national au conseil régional du Nord/Pas-de-Calais, qui se présente aux municipales. Il s’agit pour lui de « lutter contre les socialo-communistes » et « l’idéologue tiers-mondiste convaincu » (Marc Wolf, fondateur du CERES dans la région) « qui a davantage favorisé les immigrés que ses propres concitoyens dans le besoin » (c’est le renouveau des thèses populistes !).

Marc Wargnier, pour ces élections municipales, a un slogan : « Mons aux Monsois ». Absurde ! certes, mais il permet de mettre en avant ses thèses xénophobes et racistes puisque, comme les autres, il vise à rendre responsables les immigrés de tout ce qui affecte Mons : chômage, insécurité…

Mons-en-Barœul, ville-dortoir, ZUP en banlieue lilloise, voit le FN proposer ses thèses nationalistes et fascisantes dans « ses propositions » électorales : « rétablir la sécurité des biens et des personnes en donnant à la police municipale les moyens dont elle ne dispose pas aujourd’hui ». On trouve également : « refuser aux étrangers qui n’ont pas acquis la nationalité française de siéger au conseil municipal, même au titre de conseillers consultatifs ». Sans revenir sur le droit de vote aux immigrés, on constatera que pour le FN le suffrage universel comporte des clauses particulières (discrimination raciale, race supérieure seule admise à voter… où Marc Wargnier s’imagine-t-il nous emmener ?).

Ce droit de vote aux immigrés, même minime, le dérange car pour Wargnier c’est «  une grave menace pour le pays, par qui serions-nous gouvernés alors ? » (après les thèses populistes empruntées à Pétain, ces derniers propos ressemblent fort aux thèses des années 30 en Allemagne et en Italie). Certes, il est sûr que s’il était élu, lui, nous saurions que c’est un facho qui nous gouverne.

D’autres villes de la région voient apparaître en force ces ultra-nationalistes. À Wattrelos, c’est lors d’une campagne de lutte contre une usine de retraitement de déchets divers qu’on a pu voir plus de 1 000 personnes être emmenées par des dirigeants du FN, drapeaux tricolores en tête. C’est dans cette même ville que quatre flics municipaux ont envoyé par deux fois un jeune beur dans le canal… ces flics ne cachaient pas leurs idées et leur appartenance politique.

Profitant des élections, l’extrême droite crache son venin et encore trop peu d’individus réagissent.

Bernard (Gr. « Humeurs Noires » de Lille)