Accueil > Archives > 2019 (nº 1802 à 1812) > 1804 (mars 2019) > [Petites histoires d’amour dans la chaleur de nos foyers]

Petites histoires d’amour dans la chaleur de nos foyers

mars 2019.

Et si nous revisitions un peu, chères sœurs de misère, ce fantasme romantique de l’homme aimant, protecteur, tendre, doux que l’on nous sert depuis des décennies, toujours aussi vivace dans notre imaginaire actuel, cette soupe indigeste agrémentée d’un ragoût religieux et patriarcal, dans laquelle nous infusons ad nauseam depuis notre plus tendre enfance, ce prince charmant, au final bien incapable de répondre à cet idéal, censé nous apporter un bonheur éternel, qui, pour la petite histoire, formaté lui-même à coups de représentations dites masculines, viriles, reposant sur un phallus symbolique tout puissant et ses valeurs de domination guerrière du vivant , corollaires à la violence mise en œuvre partout dans ce système inique, et s’appliquant en tout premier lieu sur le sexe désigné comme faible, c’est à dire le féminin.

Or, si l’on s’attarde un peu sur quelques chiffres-clés concernant les violences domestiques et sexuelles pour l’exercice 2017, début 2018, il apparaît clairement pour certaines d’entre nous, que le rêve se transforme rapidement en cauchemar :

  • S. — jeune femme d’une trentaine d’années — ressortissante européenne, érudite, épouse d’un notable local, bastonnée par son mari à coups de tisonnier, qui, pour échapper à son cauchemar, a ingéré certaines substances auxquelles elle était allergique. Ce geste lui a coûté la vie .
  • M. — quant à elle — s’est vue défenestrée par son conjoint, fou de rage, ne supportant pas que sa victime lui échappe et le quitte. Elle laisse un orphelin juvénile.
  • 130 femmes assassinées par leur (ex) partenaire officiel ou pas, soit une femme tous les 3 jours.
  • 21 hommes tués, dont 16 auteurs de violences, par leur (ex) conjointe officielle ou pas.
  • 25 infanticides recensés dans un climat de violence conjugale.

Que nous disent ces histoires dramatiques et ces premières statistiques sur la violence masculine dans le cadre familial ? ( nous aborderons plus en avant les données sur les violences sexuelles sur les femmes majeures ou pas ).

En tout premier lieu, il faut savoir que l’Europe s’est dotée d’un corpus législatif consistant en réponse à ces drames du quotidien (voir, entre autres, la Convention du Conseil de l’Europe, dite Convention d’Istanbul, sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, corpus législatif de 38 pages énumérant toutes les atteintes à l’intégrité du sexe féminin, et y apportant des solutions de toutes sortes).

Au niveau national, cette convention a été ratifié par la France le 4 juillet 2014 et est entrée en vigueur le 1er novembre 2014.

Son exercice s’avère périlleux et décevant. Des entraves diverses, analysées plus loin, contrecarrent son efficience .

Il en va de même pour les violences sexuelles :

  • 86 % des victimes sont des femmes,
  • 94 000 femmes sont majeures,
  • 9 sur 10 connaissent leur agresseur. 1 victime sur 10 porte plainte,
  • 1 viol commis toutes les 7 minutes,
  • Plus de la moitié des victimes répertoriées sont mineures, et certaines sont âgées de moins de 15 ans,
  • 1 agression sur 3 a lieu dans le cadre familial.

L’histoire de A. reflète cette triste réalité. A. — 9 ans — passe la soirée seule en compagnie de son beau-père, sa mère travaillant à l’extérieur. Profitant de cette absence, ce substitut de père violente gravement l’enfant. Cette dernière saignant abondamment, son bourreau panique, récupère sa compagne au travail et dépose A. en compagnie de sa mère aux urgences d’un hôpital parisien.

L’enfant présente un état de sidération avancé, un sourire figé accroché à son visage et des saignements importants. Elle est prise en charge immédiatement par les soignants présents. Ils sont 4 à la maintenir afin que la gynécologue puisse, avec d’infinies précautions, l’examiner. Son intimité est déchirée, labourée, laminée. Elle subira en urgence une intervention chirurgicale réparatrice aux résultats très aléatoires, au regard de la meurtrissure de ses chairs, pour son avenir de femme.

Quant à son bourreau , il attendait patiemment dans sa voiture garée devant l’entrée des Urgences, en compagnie de la petite sœur de A. le retour de sa compagne, elle-même violée dans son enfance…

Au final, et pour clore ce chapitre de données chiffrées ponctué de petites histoires sordides, seulement depuis le mois d’octobre 2017 et le début du mouvement #me too#, le nombre déclaré de victimes de violences sexuelles a augmenté de 23 % sur une année, le nombre de femmes victimes, toutes formes de violences confondues, s’élevant — toujours sur une année (2017) — selon Amnesty International France, à 500 000.

Ces statistiques, si rébarbatives à étudier, nous invitent sérieusement à questionner la pérennité de ces violences.

Nous qui nous présentons comme une société progressiste sommes incapables d’inciter nos institutions, privées ou publiques, à une introspection salutaire et salvatrice.

La violence n’est pas une fatalité . Elle repose sur la responsabilité de chacun, chacune d’entre nous à la mettre en œuvre, à commencer par celle des mères, des grand-mères…

Ces dernières, écrasées par des schèmes de pensée patriarcaux immémoriaux, transmettent inconsciemment et en toute bonne foi à leur descendance féminine, des comportements, des discours stéréotypés, serviles et une absence totale d’esprit critique de cette servitude acceptée.

Certaines s’accommodent même des mutilations génitales au nom d’une tradition barbare, jamais questionnée dans ce cas, Elles incitent leurs filles, quand elles ne les obligent pas, à les subir à leur tour.

Brisées par leur propre enfance, elles se trouvent dans l’incapacité de s’opposer à la domination masculine qui sévit dans leur milieu familial. Cette acceptation trouve dans l’ignorance crasse délibérée d’un pan de la population féminine un terreau qui lui est favorable. En effet, il s’avère que plus les femmes sont éduquées, plus elles se libèrent du carcan masculiniste, car plus aptes à l’introspection critique d’elles-mêmes et de leur environnement.

Conjointement, dans nos sociétés dites modernes, le retour à un obscurantisme religieux, compagnon de route préféré du machisme débridé, s’empresse de ré-emprisonner les femmes. Il les cache au regard public, leur instille une culpabilité de leur féminité soit disant responsable de la concupiscence masculine non réfrénée et transforme les hommes en victimes des nouvelles « Ève ».

Pratique, quand on veut s’exonérer de ses pulsions sexuelles immodérées !

Ce regain de conservatisme puant broie lentement les quelques souffles de liberté obtenues de haute lutte par les féministes : remise en cause de l’avortement, de la contraception, du travail des femmes, de leur intégrité physique, précarisation économique de plus en plus prégnante de la population féminine notamment celle qui élève seule un ou plusieurs enfants, tolérance bienveillante des violences masculines commises dans le cercle familial et/ou dans le cadre professionnel, tentation forte d’abaisser institutionnellement la majorité sexuelle des filles en dessous de 15 ans ( affaire à suivre), stigmatisation dans l’espace public des femmes qui osent s’affranchir des codes vestimentaires conservateurs…

Pour exemple, un homme français sur cinq, et un homme américain sur trois pensent que les femmes « exagèrent souvent les cas de viol ou de violences » qu’elles rapportent (lemonde.fr 26 novembre 2018). Ce à quoi nous répondons : « A bove ante, ab asino retro, a stulto undique caveto. » (Prends garde au bœuf par devant, à l’âne par derrière et à l’imbécilité par tous les cotés).

Nos institutions, quant à elles particulièrement policières et juridiques, s’empêtrent dans des représentations féminines d’un autre âge, ce qui réduit efficacement leur action.

À la lecture de certaines données chiffrées (ce sont les dernières, promis !, la réponse de ces pouvoirs régaliens n’atteint pas le niveau de nos espérances de reconnaissance :

  • en 2017, 17 600 auteurs de féminicides et de violences physiques ont été sanctionnés (96 % sont des hommes) ainsi que 5 700 auteurs de violences sexuelles.

Au regard du nombre total de victimes qui, rappelons-le, s’élève à 500 000 par an, ces mesures de rétorsion ressemblent fort à un saupoudrage pailleté.

Ne prêchant pas non plus pour l’emprisonnement des individus, nous aurions pu espérer des pouvoirs publics, qui — pour le moment — tiennent les rênes de notre destinée, des mesures de salubrité publique (information, prévention , éducation, en autre, et cela dès le plus jeune âge).

Mais il s’avère que ces pouvoirs sont détenus par des humains, baignant eux aussi dans la même eau que leurs semblables, croupie de préjugés de genre obsolètes.

Quant aux moyens budgétaires mis à la disposition des bonnes volontés, ils s’avèrent très insuffisants, pour ne pas dire dérisoires : 79 millions d’euros alloués à cette cause au lieu des 506 millions préconisés par Le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes .

Au vu de ces divers éléments et de la pérennité de ces violences, force est de constater que le patriarcat demeure le rejeton zélé du capitalisme.

Tout ce travail domestique gratuit fourni par les femmes ne grève pas son budget d’avare. Tout cet asservissement intentionnel de la moitié de la population humaine, à savoir les femmes, repose sur un raisonnement mortifère qui consiste à les maintenir en esclavage pour mieux les exploiter et à peu de frais.

Tout comme dans beaucoup d’autres domaines, ce système économique marchand, hégémonique, « bas du front », comme diraient certains, certaines, ne se projette pas dans un futur rayonnant. Bien au contraire. Il nous réifie moulinant nos cerveaux en une soupe dans laquelle s’agitent des spermatozoïdes surexcités en compétition et des ovocytes éteints. Il engendre frustration et vide existentiels abyssaux, source de violences incoercibles dirigées principalement vers les plus fragiles physiologiquement, à savoir les femmes et les enfants. Il détériore nos connexions synaptiques favorisant ainsi une régression cognitive pourvoyeuse d’une acceptation plus ou moins consciente du fait violent à jamais haïssable.

Il oublie enfin qu’un monde sans condition féminine respectée se transmutera en un cimetière dans lequel l’autre moitié de la population, à savoir les hommes, disparaîtra aussi.

Juste pour exemple : se référer au manque endémique de femmes dans certaines régions de la Chine, ou de l’Inde, dû à des habitus de féminicides séculaires.

Malgré cela, chères sœurs de misère et de luttes, ne désespérons pas !

Il existe une lame de fond, encore confidentielle, grosse de nos besoins et de nos désirs enfin considérés et comblés. Une lente prise de conscience se fait jour.

Certains hommes, y compris dans les sociétés traditionnelles, osent lever le voile de leur pudeur émotionnelle contrainte, et dévoilent la part féminine de leur être. Ils s’impliquent dans des combats féministes. Ils s’exposent dans toute leur plénitude et luttent ainsi contre des stéréotypies qui ne leur conviennent pas.

Quant à nous femmes, nous ne sommes pas en reste.

Certaines d’entre nous relèvent la tête et cela depuis plusieurs décennies et plus encore. Nous sommes minoritaires et efficaces. Nous balayons puissamment toutes ces forces d’asservissement patriarcale à l’œuvre et militons pour une reconnaissance de notre identité profonde et une égalité en droits jusque-là réservée aux hommes. Nous combattons sur tous les fronts : la liberté à disposer de nos corps, leur objectivation source de leur marchandisation et de leur hypersexualisation avilissante, le refus des mutilations génitales, la revendication à une même reconnaissance de droits dans le domaine professionnel notamment au niveau de la rémunération, le rejet des normes sociales appliquées aux femmes comme le jeûnisme, dans ce cas volonté délirante d’une jeunesse éternelle, et son cortège de méthodes de rajeunissement (chirurgie esthétique, crèmes de jouvence diverses et variées, maquillage définitif, épilation pubienne et axillaire, teintures capillaires …) et de régimes amaigrissants qui fleurissent un peu partout dans la presse dite féminine. Et j’en passe… En particulier le corpus législatif consistant obtenu suite à des combats menés par les mouvements féministes pour lutter contre toutes les formes de violence ciblant le sexe féminin.

En résumé, l’éclosion sur notre belle planète bleue de multiples poches de résistance et de collectifs de femmes ne peut qu’augurer d’un avenir fécond, débarrassé de ses voiles ténébreux antérieurs non recousus par notre action multipolaire .

En guise d’épilogue et pour conclure cet article sur une note d’espérance, je vous propose un poème, bouleversant, écrit par une femme de courage, de lumière, allégorie d’une forme de résistance à l’obscurantisme, en l’occurrence dans son cas politique, poème toujours malheureusement d’actualité pour certaines d’entre nous qui se battent pour exister dans des milieux ultra conservateurs :
« Je trahirai demain. »

Je trahirai demain, pas aujourd’hui
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles
Je ne trahirai pas !
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
moi, je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.
Je trahirai demain. Pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre.
Il ne me faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
pour mourir.
Je trahirai demain. pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
Le lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui, je n’ai rien à dire.
Je trahirai demain

Poème écrit en novembre 1943 par Marianne Cohn (1922-1944), résistante allemande assassinée le 8 juillet 1944.

Autorisons-nous à nous dépouiller de la sœur, de la compagne, de l’épouse, de la mère pour jouir enfin de cette liberté primale qui nous a été offert dès notre conception, à savoir une vie de femme à savourer juste pour elle-même.

Hommage à toutes les résistantes.

Odile, individuelle Seine-et-Marne.

Références :
Sorcières, la puissance invaincue des femmes. Mona Chollet. Septembre 2018. Éditions ZONES.
• Stop-violences-femmes.gouv.fr
Lettre nº 13 de l’Observatoire national des violences faites aux femmes- synthèse pour l’année 2017.
Le Monde.fr : « Violences faites aux femmes : la tolérance sociale, principale alliée du scandale ». Najat Vallaud- Belkacem. 26 novembre 2018.
L’Humanité.fr : « Jour J contre les violences faites aux femmes, toutes et tous concernés ». Daniel Roucous. 25 novembre 2018.
• Etc.


https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=3970