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Salut Yves…

Le jeudi 24 janvier 2002.

« Prends donc l’habitude que les choses ordinaires arrivent aussi. »



Cette phrase de Jean Giono, extraite de son roman Le Hussard sur le toit servira de viatique à la vive émotion que j’éprouve en ce moment en apprenant la mort de notre compagnon Yves Peyraut. D’autres se chargeront mieux que moi de parler de lui ; je l’avais rencontré toute jeune, à vingt ans à peine, il pouvait être mon père, mais dans nos rangs l’âge n’a pas grande signification, si ce n’est pour dater notre existence. Yves, c’était bien sûr la radio, Yves, c’était bien sûr l’espéranto, Yves, c’était une présence oratoire. Ses compagnes de vie, ses enfants se souviendront autrement de lui. Il m’en avait parlé longuement quand il était venu, ici, à Strasbourg, en mai dernier, pour prononcer un petit discours lors du Congrès international contre la peine de mort. Il venait défendre le cas d’un condamné à mort espérantiste avec lequel il correspondait. Il m’avait parlé de ses fils, de ses filles, de ses compagnes, de leur itinéraire dans la vie, de ses recherches généalogiques, de ses souvenirs de gamin au temps de l’épuration après la Seconde Guerre mondiale. Il avait à peine effleuré sa maladie et pourtant devant son assiette, avant le repas, il alignait les fioles, les cachets, les sachets. Il était déjà bien fatigué… Mais au cours des deux soirées que nous avons passées ensemble, il s’était montré intarissable sur sa connaissance du mouvement ; il a évoqué Jean Barrué et l’émotion fut vive quand je lui ai montré une des dernières photos de Jean avec sa compagne Anita, c’était dans une revue allemande disparue aujourd’hui, Trafik. Yves Peyraut et Jean Barrué s’étaient rencontrés à Bordeaux où Jean enseignait les mathématiques.

La dernière fois que j’ai entendu la voix d’Yves, il m’annonçait la mort de Julien, un des piliers de Radio libertaire… Je l’avais appelé pour une question tout à fait annexe et que certain(e)s ignorent peut-être : Yves Peyraut, diplômé d’études supérieures, d’abord maître-assistant à la faculté des Sciences de Bordeaux, s’était orienté vers le secteur privé. Consultant auprès d’entreprises privées et publiques, il avait aussi collaboré comme expert aux travaux de l’AFNOR et de l’International Standards Organisation (ISO). Il avait rédigé un livre épuisé dans le commerce : Gestion rationnelle de la logistique. Ce livre — qu’il m’a envoyé récemment, dédicacé — vient tout simplement de me permettre de retrouver un emploi. C’est un ouvrage dans lequel on parle d’organisation du travail et non pas de hiérarchie. Auparavant, Yves avait également rédigé une Gestion rationnelle de la qualité. Organisation, qualité, cadre de vie, des notions qui ne laissent pas les anarchistes indifférent(e)s. Je ne saurai pas s’il aura eu le temps de lire la courte lettre que je lui adressais fin décembre pour le remercier. J’ai beau songer ce soir à Épicure, je pleure la disparition d’un être auquel je dois beaucoup.

Martine-Lina Rieselfeld