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éditorial du nº 1812

décembre 2019.

Main dans la main, ils tuent : les dieux et l’État

Il faut pouvoir se dire en peu de mots, c’est une loi. Trois suffisent aux anarchistes pour crier leur opposition viscérale à toute forme de domination : « ni », « dieu » et « maître ». Mais dès que l’on veut écrire le cri, la langue nous impose d’encombrantes questions qui s’invitent sans frapper : majuscule ou minuscules, singulier ou pluriels, dénotation ou bien connotation ? En ces moments de haine, « islamophobie », par exemple, est un des lieux où les mondes du réel et du symbole, pourtant inséparables, peinent à s’articuler. Les nombreux articles du dossier de ce numéro explorent en tous sens le fait et les méfaits du religieux. Un dossier bien nécessaire, car maintes fois proclamée et tant de fois fêtée, rien n’y fait. Il nous faut bien le constater, la mort des dieux reste encore à consommer. Survitaminés, leurs zélateurs inventent mille ruses pour se remettre en scène et nous prendre d’assaut. Adorateurs d’un Dieu ou bien dévots de cent, ils sont les mêmes qui n’ont de cesse de vouloir nous imposer leurs peurs, dicter nos conduites et disposer de nos corps. Seins, ventres, sexes, fesses ou cheveux, jusqu’à nos ovules et spermatozoïdes… homme, femme ou trans… nul ne sait où donner de la tête. Quand à savoir quoi et quand manger, on en perdrait le boire et l’appétit. Mais encore, presque imperceptibles, c’est tout autant au fond de nos esprits, en amont même de nos pensées que les Tartuffes sont à l’œuvre. Un important travail peut-être reste-t-il à faire pour dissoudre l’invisible fange qui souille nos envies et mite nos utopies.

Aux banquets des dieux, les maîtres aussi se pressent, et toujours plus nombreux et toujours plus avides ; on ne peut les ignorer. En octobre dernier, pour accueillir Macron visitant la Guyane, les bouteilles et les pierres ont pris la place des colliers de fleurs. Car il ne s’agit plus seulement de travail, de grèves et de salaires, il s’agit de la vie même. C’est comme en écho, d’un pays, d’un continent à l’autre, que les peuples se lèvent, souvent comme les vagues. Chaque semaine elles repartent à l’assaut, car on le sait, à la fin c’est l’eau qui vainc le roc. En Algérie c’est dans la 39ème semaine de mobilisation qu’entrent les Hirakistes. À Hong Kong, temple et phare du capitalisme financier mondial, après 24 semaines dans la rue, les manifestants massivement soutenus par la population bloquent les avenues, universités, métro, aéroport. Ils s’organisent pour affronter une police qui ne se soucie plus guère du droit. Au Chili aussi, la coupe est pleine. Plus de vingt morts et de 2000 blessés n’arrêtent pas la colère déclenchée par une augmentation « de trop » du coût de simplement vivre. Le Chili des Chicago Boys pourtant, était la réussite, la vitrine de la mondialisation capitaliste, sa preuve par neuf. Le « bon élève » de l’Amérique latine démontrait la vérité du slogan Thatcherien : Il n’y a pas d’alternative. « Nous sommes en guerre », ce sont maintenant les mots du président d’un État classé 113 par l’ONU sur les 128 pays les plus inégalitaires. Le président multi-milliardaire et les cinq familles qui ont accaparé près d’un quart du PIB, sont bien en guerre, depuis longtemps, contre le peuple. Les Chiliens là-bas, qui on goûté ses délices, ne veulent pas de la Startup Nation qu’on nous promet ici ! Et la liste est longue de ces révoltes, de ces émeutes. Et quand les pouvoirs prennent peur, les masques tombent. Quand un peuple se soulève, la police emprisonne, blesse et tue. L’ennemi devient intérieur, l’armée occupe les rues.

En France aussi, depuis un an, la violence est dans la place, et pourtant rien ne change. C’est terrible, surtout lorsqu’à tant la subir, et faute d’espoir, c’est contre soi-même qu’on l’applique. Nous dédions ce numéro à ce jeune compagnon, qui s’est immolé à Lyon ce vendredi 9 novembre, à l’aube de l’âge adulte. Nous voulons partager sa rage et sa peine, celle de sa famille et de ses camarades, de celles et ceux qui sont montés à l’assaut des CROUS pour honorer sa souffrance. Contre l’ignominie des commentaires politiciens et l’organisation du silence par les médias, nous publions sa déclaration au dos de ce numéro. Verbatim.

Patrick (CRML)