Lille, bâtie sur les eaux de la Deûle et drainée autrefois par de nombreux canaux, ressemblait à une île ; d’où son nom. Fondée d’après la légende à la suite d’un combat entre deux géants flamands, Lydéric et Phinaert, elle devint française en 1667 après avoir fait partie successivement du comté de Flandre, de l’État bourguignon, de l’Empire austro-hongois et des Pays-Bas espagnols. Aujourd’hui capitale de la région Nord/Pas-de-Calais [1], c’est une ancienne ville textile reconvertie dans le tertiaire. Elle est mariée à Pierre Mauroy depuis 1971 et au « socialisme » depuis 93 ans.
À quinze kilomètres de la Belgique, partageant avec celle-ci langues et cultures communes, Lille redécouvre qu’elle n’est pas seulement située au nord de la France, mais aussi au sud de l’Europe du Nord. C’est ainsi que les anarchistes belges et lillois entretiennent d’excellents rapports et que le groupe Vladimir-Yapadchef de Bruxelles a récemment adhéré à la Fédération anarchiste !
Enfin, à Lille, l’Europe est également et malheureusement synonyme de chantiers et de gros sous : « réhabilitation » des vieux quartiers, arrivée du TGV, construction d’un centre international d’affaires… La démolition de l’estaminet de la rue de la Vignette, où pour la première fois fut chantée l’Internationale, est à cet égard tristement significatif…
L’« envers » du Nord
Taillée dans les provinces de Flandre, du Hainaut, d’Artois et de Picardie, la région Nord/Pas-de-Calais [2] fait l’objet, aujourd’hui encore, de préjugés négatifs. On accuse son climat… comme s’il n’était fait que de frimas, de brumes et de pluies (alors que son ciel a fait jadis le bonheur des peintres les plus illustres, et qu’une enquête récente prouve qu’il est essentiellement tempéré). Se référant au Plat pays de Jacques Brel, on accuse la monotonie de ses horizons… alors que les paysages y sont extrêmement variés (falaises de craie blanche, plateaux, dunes et plages de sable fin, bocages, plaines, marais, forêts, collines…). On ne veut y voir que chevalets de mine et cheminées d’usines… alors que les houillères ont cessé toute activité [3] et que la surface agricole utilisée représente 73 % du territoire régional !
Fêtes, jeux, carnavals, gastronomie, moulins, carillons, beffrois, braderies… Le pays est riche de son histoire, de son patrimoine architectural, de ses traditions populaires, de sa sociabilité et de son dynamisme culturel ; des caractéristiques que l’on découvre en Belgique, de l’autre côté de cette frontière totalement artificielle qui coupe en deux à la fois la Flandre et le Hainaut [4].
Entité géographique et humaine à la fois cohérente et diversifiée, le Nord/Pas-de-Calais (décidément, quel nom bizarre !) est également une entité linguistique originale. C’est ainsi que le picard et le flamand se côtoient et sont pratiqués couramment par une partie de la population. Rappelons à ce propos que le picard n’est pas un français déformé. C’est une langue (issue du gallo-roman) qui a eu pendant des siècles un statut officiel et dont le domaine couvre non seulement la Picardie, mais aussi le Nord/Pas-de-Calais et la Wallonie. Le picard s’est aujourd’hui appauvri et divisé en plusieurs patois (le ch’ti), à la fois semblables et divers. Quant au flamand, le vlaemsch (langue germanique proche du néerlandais), il est parlé dans le Westhoek (région située entre Dunkerque et Saint-Omer) par 20 000 à 50 000 personnes. Menacé un moment de disparition, il semble aujourd’hui être l’objet d’un regain d’intérêt.
Terre d’immigration et de métissage (Belges, Polonais, Italiens, Portugais, Espagnols, Maghrébins… s’y sont succédés et implantés), terre de révolte, de lutte et dé joie de vivre (un peu à l’image de Benoît Broutchoux et de Tyll Uylenspiegel), Lille et sa région sont heureuses d’accueillir le 49e congrès de la Fédération anarchiste.
Éric Dussart