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Politique sociale

Rafle à Vincennes

Le jeudi 5 novembre 1992.

« On ne pouvait plus prendre de risques pour leur santé, notamment celle des enfants à l’approche de l’hiver. »
Marie-Noëlle Lienemann, ministre du Logement



Jeudi 29 septembre 1992, 6 h 30 du matin, début d’une grande opération « humanitaire ». L’esplanade de Vincennes est entourée par plusieurs cordons de flics, de voitures, de cars de CRS. 1200 au total. Le quartier est bouclé. Pierre Verbrugghe, préfet de police de Paris, commente l’opération : Vincennes serait un « foyer infectieux […], fréquenté par des imams intégristes et des gauchistes étrangers ». Comme entrée en matière — humanitaire oblige — les flics distribuent quelques coups de matraques à celles et ceux qui auraient des velléités de sortir pour se rendre à leur travail ou de rentrer dans le camp. Mais la flicaille se veut rassurante. Elle s’adresse ainsi aux 600 Maliens et Français d’origine africaine qui depuis six mois vivent là : « Nous allons vous conduire à des logements. Laissez-là vos affaires, on vous les rendra. » En fait de restitution, ces affaires, entre autres des vêtements, iront droit dans une benne à ordure… C’est une opération humanitaire, puisqu’on vous le dit. « Le fait que l’on ait trouvé des solutions d’hébergement pour chaque famille l’atteste  », affirme encore Madame Lienemann.

Des solutions d’hébergement : les familles conduites vers des minibus, dans une atmosphère de rafle, puis dirigées vers treize « sites d’hébergement », éclatés au quatre coins de l’Ile-de-France.

Radiographie :
— Nanterre : 36 familles placées dans un foyer pour sans-domicile fïxe, un bouge où les flics balancent tous les clochards, qu’ils raflent. Crasse, entassement, seringues dans les chiottes… un vrai paradis !
— Meudon : des baraquements près d’une voie ferrée, dont les vitres ont été brisées la veille par des cailloux, des tracts du Front national…
— D’autres familles seront dirigées vers des hôtels, dont certains patrons, peu désireux d’accueillir ces « pas français », leur ont refusé l’entrée ; — Limeil-Brévannes : le couronnement ! 120 personnes « relogées » dans un asile psychiatrique désaffecté, récupéré par l’Armée du Salut : 75 lits en dortoir, pas de douche… Celles-là refuseront d’y entrer, et passeront plusieurs nuits à camper devant la porte. Opération humanitaire,
on vous le répète !

Mensonge, mépris gouvernemental, racisme de la population, insultes ! Trop, c’est trop ! À l’issue de cette journée de rafle, de déportation, d’éclatement du camp et des familles, plus d’une centaine de ces sans-logis contestataires se retrouvent à la rue ! Quant aux autres : on l’a vu au dessus… Pour certains, ils se trouvent également dans l’obligation de choisir entre ce « logement », leur travail et la rue. Comment se rendre à son travail d’éboueur, de nettoyeur du métro et autre profession, tôt le matin ou tard le soir, quand on se trouve en grande banlieue ?

Cette triste affaire pue. Discrimination raciale, morgue des dirigeants, magouilles immobilères, démagogie et irresponsabilité d’un côté. Dignité, obstination, lutte de l’autre. Ces « Maliens », comme la presse les a surnommés, se battent depuis plus de six mois pour obtenir un logement, car on les avait expulsés du leur.

« Il n’y a pas de raison de faire un passe-droit pour ceux-là, quand 80 000 personnes attendent un logement HLM », disait un prétendu responsable. Mais qui parle de passe-droit ? Il s’agit de droit, d’un droit fondamental.

Avec la rage au ventre, après trois semaines de campagne du FN contre les « Maliens de Vincennes », l’action du gouvernement vient à point conforter certains dans l’idée que tous ne peuvent pas bénéficier d’un habitat, d’un travail… « Des logements pour les Français, des charters pour les Maliens ! ». À défaut de charters, cela aura été des minibus et des matraques ! Alors, les sans-logis continuent la lutte.

Le samedi 31 octobre, deux jours après l’expulsion, a eu lieu une manifestation en soutien à ceux de Vincennes. Mille personnes se sont rassemblées à Paris pour crier leur rage de voir des gens traités comme du bétail et pour exiger la reprise des négociations, ainsi que des logements pour tous. Les nouveaux délégués des familles et du comité de soutien ont été reçus par le préfet de région, M. Sautter, par l’Hôtel Matignon, et devaient être reçus lundi matin par M. Teulade, ministre des Affaires sociales, en vue d’éventuelles discussions, voire négociations. Le calme après la tempête ? La carotte après le bâton ? Allez savoir… les autorités ont déjà tellement promis et si peu tenu !

Maintenant, vous le saurez, quand le gouvernement fait de l’humanitaire… assurez vos arrières !

Bertrand Dekoninck


N.B. : Pour contacter le comité de soutien, joignez le CAIF, 46, rue de Montreuil, 75012 Paris. Répondeur (l’info en continu) : 48.94.94.21 et téléphone : 43.72.75.85.