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Répression sénatoriale contre les homosexuels

Colère noire chez les Flamands roses !

Le jeudi 13 juin 1991.

Après l’interpellation, lors de la journée commémorative du 8 mai, de deux animateurs de l’association homosexuelle « Les Flamands roses », de nouvelles dispositions viennent troubler la quiétude des tenants de l’expression gay et lesbienne. II s’agit d’un amendement voté par le Sénat. Nicole Benyounès soulève le voile sur l’objet du scandale… Gare au retour de prétendues valeurs morales sur l’avant-scène de la vie politique !



Alors qu’aujourd’hui, on fête les dix ans de pouvoir de François Mitterrand, ce n’est pas la fête. et loin de là, des homosexuels et des lesbiennes.

Alors que le Parti socialiste placarde sur nos murs « 10 ans qu’on sème », il faut bien reconnaître, qu’en matière de reconnaissance de l’identité homosexuelle, la récolte est encore bien maigre.

Car, comment comprendre que lorsqu’il s’agit de perpétuer et d’honorer le souvenir des 500 000 homosexuels déportés pendant la Seconde Guerre mondiale, par un dépôt de gerbe le jour du souvenir au monument des déportés le 28 avril dernier, comment comprendre que les représentants du Groupe d’expression gay et lesbienne se fassent interpeller par la police ?

Pierre Mauroy était présent à cette cérémonie. Pourtant, ni le Parti socialiste ni la Mairie de Lille n’ont jugé bon, pour l’instant, de témoigner leur soutien aux Flamands Roses.

Oui, l’on peut se demander ce que l’on a semé, si ce n’est des effets de tribune, puisqu’au dernier congrès de Rennes, des pétitions de principe en faveur de l’égalité des droits, ont été signées par le premier secrétaire du Parti socialiste.

Simplement aujourd’hui, les homosexuels ne veulent plus se contenter de mots.

Car certaines tendances liberticides, qui s’expriment notamment au Sénat se font de plus en plus préoccupantes.

Un amendement scandaleux vient d’y être voté, qui reconnaît l’homosexualité comme circonstance aggravante dans les affaires de viol. Est-il moins grave de violer une femme que de violer un homme ? Ce type de distingo relève purement et simplement de la discrimination sexiste.

Une démarche liberticide

D’autre part, un deuxième amendement vise à réintroduire l’inégalité entre homosexuels et hétérosexuels devant la loi, en rétablissant le « délit d’homosexualité » aboli en 1982. Cet alinéa 2 de l’article 331 du Code pénal, voté le 23 mai — qui, rappelons-le, date du Maréchal Pétain —, punit de trois ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende, le fait : « pour un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise, une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de 15 à 18 ans du même sexe ». Cette soi-disant « atteinte » sur un mineur de 15 à 18 ans mais de sexe opposé, étant considérée comme licite. En clair, et cela relève encore de la discrimination, la majorité sexuelle est fixée à 15 ans pour les jeunes hétérosexuels. alors qu’elle s’élèverait à 18 ans pour les jeunes homosexuels.

Alors que les dirigeants français s’enorgueillissent constamment de leur action humanitaire en faveur des déshérités des pays du sud, alors qu’ils proclament haut et fort la France « patrie des droits de l’homme », c’est une société à deux vitesses que le Sénat tente ici d’introduire. En d’autres pays, cela a d’autres noms, cela se nomme de l’Apartheid. Car, faudrait-il concevoir demain, qu’il existe une communauté hétérosexuelle normale
et une communauté homosexuelle indigne ? Si c’est tout ce que nous avons semé en dix ans, la récolte est véritablement amère.

La liberté ne se fractionne pas

D’autant que, plus pernicieusement encore, un autre amendement au Sénat tend à criminaliser les porteurs du virus du SIDA en sanctionnant : « tout comportement imprudent ou négligeant, d’une personne consciente et avertie ayant provoqué la dissémination d’une maladie transmissible épidémique ». Peines encourues : de 300 000 F d’amende à 3 ans de prison.

Ne nous voilons pas la face, c’est indirectement encore une fois la communauté homosexuelle qui est visée, alors même qu’elle fut, rappelons-le, la première à assurer prévention, information et soutien face à la maladie.

Toutes ces tendances liberticides vont dans le même sens : le renouveau de l’ordre moral et le mépris envers tout comportement qui a seulement pour défaut de n’être pas majoritaire.

Alors, terminons par une anecdote un peu sombre : en 1938-1939, en Allemagne contre le nazisme, personne ou presque n’a bougé quand on s’est attaqué à la communauté juive, personne ou presque n’a bougé lorsqu’on s’est attaqué aux homosexuels, aux Tziganes, aux forces de gauche.

Faut-il aujourd’hui que personne encore ne bouge lorsqu’on s’attaque aux homosexuels ?

La liberté, pourtant, ne se fractionne pas. On en abroge une, et ce sont toutes les autres qu’on remet en cause.

Nicole Benyounès (secrétaire des Flamands roses, membre du groupe Alternative anarchiste de Lille)


N.B. : « Les Flamands roses », CCL-Benoît-Broutchoux, 1/2, rue Paul Denis-du-Péage, 59000 Lille.