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Expulsions dans le Nord/Pas-de-Calais

Les étudiants étrangers piégés dans les préfectures

Le jeudi 18 juin 1992.

Il est bien fini le temps des élections où le gouvernement avait plus ou moins mis en veilleuse la répression en matière d’immigration. En l’espace de moins de trois semaines, ce ne sont pas moins de cinq étudiants étrangers (deux Sénégalais, un Tunisien, un Marocain et un Malgache) qui ont manqué de se faire expulser par les préfectures du Nord et du Pas-de-calais. Le dernier, un étudiant malgache, n’y a d’ailleurs échappé qu’à un cheveu près.

Ces arrêtés d’expulsion avaient été prononcés par le préfet en « vertu » d’une loi toute récente du 26 février dernier, qui prévoit notamment que sont expulsables les étrangers (hors CEE, bien sûr !) qui ont un retard de plus d’un mois dans la mise à jour de leur titre de séjour. Loi scélérate s’il en est, d’autant plus que les premiers concernés n’en avaient surtout pas été informés ! Mais, « nul n’étant sensé ignorer la loi », quand ceux-ci se présentent à la préfecture pour régulariser leur situation, on les arrête sur place, ou mieux, on les convoque pour le lendemain s’il n’y a pas suffisamment de flics à ce moment-là. C’est très précisément le genre de guet-apens que connurent ces cinq étudiants dûment inscrits et présents à l’université. À chaque fois, ils furent emmenés, menottes aux poignets, vers le centre de rétention le plus proche, à Lesquin, en l’attente de leur expulsion. Malheureusement pour l’État et le gouvernement, l’heureux temps du plus cynique arbitraire de la loi Pasqua étant à peu près révolu, il restait aux étudiants un recours devant le tribunal administratif pour trancher quant à la validité de la décision du préfet. Malheureusement pour eux également, les quatre premiers avaient pu prévenir des associations d’étudiants, d’antiracistes [1], dont la Fédération anarchiste, de ce qui leur arrivait. Ils purent donc être correctement défendus lors du procès de la décision du préfet et celle-ci fut cassée. Ces associations parvinrent qui plus est à obtenir du responsable à la circulation des étrangers de la préfecture du Nord l’assurance que les arrestations en préfecture cesseraient et que le cas des centaines d’étudiants de Lille en retard, du fait des insuffisances lamentables de l’administration pourrait être réglé (quand on multiplie les tracasseries administratives, il faut se donner les moyens en bureaucrates pour assurer derrière). Reste à voir si ces engagements seront tenus.

On peut déjà en douter. Le jour même de cette entrevue, le 5 juin dernier, le tribunal administratif de Lille validait la décision d’expulsion de l’étudiant malgache décidée par la préfecture du Pas-de-Calais ! Il n’avait pu bénéficier d’une défense correcte lors du procès ni d’un quelconque soutien. Il devait être expulsé lundi 8 juin, jour férié, pendant le congrès de la FA à Lille. L’ayant appris, le congrès a donc adopté une motion de protestation. Elle fut adressée, ainsi que celles de nombreuses organisations, à la préfecture. En vain ! À 15 heures, il partait pour Roissy. Suite à de multiples coups de téléphone au ministère de l’Intérieur, celui-ci sembla visiblement inquiet des vagues faites autour de cette affaire somme toute banale (si on ne peut même plus expulser en paix !). Les seuls scrupules de ceux qui nous gouvernent ne sont vraiment que d’ordre médiatique ! Nous ignorons encore si une intervention directe de la communauté malgache parisienne à Roissy aura pu empêcher in extremis cette expulsion.

Il n’est pas possible non plus de savoir combien de personnes ont ainsi pu être expulsées du fait d’une loi qu’elles ignoraient et de l’impossibilité (dans les conditions déplorables d’accueil au service des étrangers de la préfecture) de renouveler ses papiers en temps et en heure. Ce sont toujours quelques expulsions faciles et sans danger auxquelles le gouvernement va devoir renoncer à moins de reconnaître que l’État de droit » n’est pas une réalité des plus tangibles pour certaines catégories de la population…

N’ayez également aucun scrupule ! Usez de tous les moyens possibles pour empêcher ces expulsions. Et faites également le siège du ministère de l’Intérieur. À propos, le standard à faire sauter sous les appels, c’est le bureau du Service des Libertés publiques (!) au 49.27.49.27.

Bertrand (gr. Humeurs Noires - Lille)


N. B. : Nous apprenions le 10 juin qu’un étudiant marocain venait d’être arrêté pour les mêmes motifs, suite à un contrôle de billet dans le métro de Lille.


[1Fédération anarchiste, Syndicat pour une éducation libertaire-CNT, Union nationale des étudiants marocains, Amicale des étudiants sénégalais, UNEF, Comité contre la double peine », MRAP, LDH…