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Insécurité

La police veuille, les jeunes meurent

Le jeudi 15 avril 1993.

Le maire communiste rénovateur (?) d’Évreux considère que seule la restauration de l’autorité paternelle (patriarcale) et familiale peut remettre de l’ordre dans les cités. Pour se faire, il a décidé d’instaurer les punitions collectives. Certaines aides sociales seront supprimées aux familles des mineurs suspectées d’être les fauteurs de troubles sur la ville et ses environs. Pierre Cardo, le tombeur de Michel Rocard et maire PR de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), veut faire de même avec les familles dont les gosses traînent le soir dans les rues. Un couvre-feu pour les jeunes ? À Saint-Denis (République populaire de Seine-Saint-Denis), les mêmes menaces planent dans certaines citées HLM dites chaudes : expulsion des familles aux enfants trop agités. Alors, vous voyez bien, l’œcuménisme existe. La cohabitation n’est pas un problème.

Au niveau des plus hautes sphères des ténors politiques, Balladur dans son discours inaugural nous ressort le code de la nationalité. Rien n’a bougé au RPR depuis 1988. Le droit du sang est le seul garant de l’identité (blanche ?) de la République française. La réaction de Rocard-le-big-bang à ce même discours aura été de constater, avec effroi, que Balladur se référait de trop à Pompidou. Selon lui, l’héritage catastrophique laissé par Pompidou aura été une politique de bétonnage immobilier à outrance et une politique irresponsable en matière d’immigration massive. Bref, nous vivons dans une atmosphère politique « saine ». Nous vous l’avions bien dit avec notre titre de « une » : La chienlit s’en va… la merde revient !, d’il y a quinze jours.

Il n’est pas vraiment étonnant, dans ces conditions, que la base de la police ait « légèrement » poussé à la roue ces derniers jours. Rendre la situation plus tendue pour voir à quel moment le gouvernement réagirait, histoire de prendre la température, rien de plus facile. Quatre morts (Chambéry, Paris, Wattrelos et Arcachon). Une fois la situation en place, ça devient un jeu d’enfant pour Pasqua d’utiliser la tension ambiante et manipuler les situations d’émeute.

À Paris, après le meurtre au commissariat des Grandes-Carrières d’un jeune zaïrois, Makomé M’Bewolé, il a pu compter sur les militants d’extrême droite employés par la police dans les Brigades mobiles d’arrondissement. Crânes rasés et saluts nazis ne laissent aucune équivoque quant à la compétence et au goût qu’ont ces flics en matière de ratonnades ; les faits ne nous démentent pas. Il est bien à la mode de présenter l’image « catastrophique » du tissus social. Les jeunes n’ont plus peur de la police, parce que la police est vue comme une bande rivale. Nous, on aurait plutôt tendance à considérer les flics comme des militants. Militants d’un ordre qui n’est pas le nôtre. Peut-être bien qu’il faut bouffer, qu’il n’y a pas de sot métier, mais flic, juge ou maton… ce ne sont pas les métiers mais des fonctions de répression.

L’exploitation et la manipulation de la colère pour le moins justifiée des jeunes du quartier se sent révélées des plus réussies. La stratégie de la tension (faux-semblants de charges, charges réelles, expéditions commandos de flics en civil, guidage des manifestants excédés vers les rues commerçantes) a servi à merveille ceux qui voulaient noyer la gravité des bavures dans un nuage de gaz lacrymogènes (véritable rideau de fumée) et occulter le racisme policier et ses violences quotidiennes par des vitrines brisées. Gros titres et grosse colère de Charles Pasqua à l’appui. Tout cela a permis un quadrillage du XVIIIe arrondissement hors pair, un état de siège pour tout dire, lors de la manifestation interdite du samedi 10 avril.

Pourtant, pour nombre de gens du quartier, les « citoyens tranquilles », les salauds, c’était bel et bien ces flics en civil qui d’ordinaire sont aux carrefours en uniforme. Pourris, dégueulasses, évitant d’affronter le rassemblement de front, mais déboulant à trente d’un vrai-faux camion de la Poste où ils étaient cachés, puis s’élançant dans des rues à la poursuite de petits groupes isolés, ils ont démontré en agissant ainsi que dans un combat classique, ils ne font pas forcément le poids. C’est quand même bien des commerçants du quartier qui ont permis à des jeunes traqués de se réfugier dans leur arrière-boutique. La population du XVIIIe a peur, c’est vrai, mais c’est de la police qu’elle a peur. Franchement, il y a de quoi. N’est-il pas vrai que le commissariat des Grandes-Carrières ainsi que celui jouxtant la mairie d’arrondissement ont depuis des années mauvaise réputation auprès de ceux qui y sont passés (tabassages, escaliers « glissants », insultes racistes [1], gardes à vue prolongées, menaces d’une arme…).

La campagne Quilès-Broussard d’intensification des contrôles d’identité sous le précédent gouvernement et, actuellement, les rafles du quartier Barbès (750 personnes contrôlées), qui ont précédé les bavures, ont contribué à la détérioration du climat.

Bertrand Dekoninck, Vincent Tixier & Claude Nepper (gr. Louise-Michel, Ubu & La Villette - Paris)


[1À défaut d’insultes racistes, un camarade s’est-fait traiter de… « sale EDF », parce qu’agent de cet organisme.