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Menaces

Le jeudi 15 juin 1995.

Vingt années se sont écoulées depuis la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. La loi était restrictive au regard de ce que nous exigions dans nos luttes, mais elle a permis de mettre fin aux avortements clandestins et de stopper net la mort de ces femmes. Car, nous ne le rappellerons jamais assez, à l’époque la loi Veil a permis de rayer définitivement ces cas de femmes se présentant en urgence dans les hôpitaux parce qu’elles avaient voulu interrompre elles-mêmes leur grossesse. Il n’existe plus de cas de stérilité due à un avortement clandestin. L’IVG médicalisée protège la vie des femmes et préserve leur capacité de conception et de reproduction. C’est dans ce sens que nous proclamons que notre combat est celui d’une lutte pour un profond respect de la vie et que nous dénonçons l’hypocrisie de ceux qui ferment les yeux sur ce passé ou sur les présents de celles vivant toujours des avortements clandestins. Avant la loi, cinq cents femmes environ décédaient chaque année à la suite d’un avortement.

En 1993, un document de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) fait état de la situation actuelle tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Sur les 450 hôpitaux publics, 150 n’ont pas de centre IVG. Ce qui veut dire que des villes comme Cahors ou Maubeuge n’ont aucune structure publique assurant l’IVG. Par ailleurs, ces centres n’ont jamais été véritablement reconnus ni valorisés au niveau de la recherche. Certains hôpitaux ont des quotas hebdo-madaires draconiens injustifiés. C’est ce qui se produit dans les hôpitaux où le chef de service n’est pas favorable à l’avortement mais où il ne dispose pas du rapport de force suffisant pour l’interdire. D’autre part, les centres ne disposent pas de structures solides avec de véritables statuts pour les médecins qui sont la plupart du temps des vacataires. Dans la majorité des cas, les centres n’ont pas de représentant au conseil d’administration pour défendre leur budget. Toutes les conditions sont donc réunies pour dissuader les médecins de s’intéresser à cette branche.

Les conséquences pour les femmes sont de taille, les délais d’attente qui leur sont infligés sont reconnus comme étant trop longs pour la seule première consultation. Si celles-ci ne sont pas vigilantes, elles peuvent très facilement se retrouver hors délai (le délai légal est de 12 semaines de retard de règles). Quelques hôpitaux refusent les femmes qui se présentent pour un deuxième avortement. Dans les mentalités, les choses n’ont pas changé, les femmes sont considérées comme des êtres irresponsables que l’on n’hésitera pas à humilier dans ces moments de grande fragilité.

De nombreuses menaces pèsent sur les droits à l’avortement et à la contraception. Les commandos se font de plus en plus arrogants et se manifestent de plus en plus souvent, malgré les procès et des peines plus lourdes. Les services IVG de grandes villes disparaissent (Nevers) ou sont menacés de fermeture (Creil). Les vacations sont réduites dans des proportions importantes (Chambéry). Dans le Nord, le planning familial a dû fermer ses portes parce que le conseil général avait supprimé les subventions. Sur le plan de la contraception ce n’est pas rose non plus, car s’il est à déplorer que l’on offre si peu de réponses adaptées aux femmes en matières d’avortement (le RU486 et l’anesthésie locale sont peu proposés, l’anesthésie générale est le plus souvent imposée), la panoplie de la contraceptée avertie se réduit comme une peau de chagrin. Il faut dialoguer, négocier, imposer une pilule remboursée par la sécurité sociale lors des consultations médicales. Le dernier laboratoire médical produisant des diaphragmes vient d’annoncer qu’il en arrêtait la fabrication.

Il est urgent que s’effectue une prise de conscience des femmes et des hommes sur les droits élémentaires et fondamentaux que sont l’avortement et la contraception et qu’en tant que tels ce sont des droits sans restriction aucune.

NiKmo