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Nœux-les-Mines (Pas-de-Calais)

Faire taire la « Grande muette »

Le jeudi 11 avril 1996.

Qu’on se le dise, celle que l’on nommait traditionnellement la « Grande muette », autrement dit l’armée française, a su s’adapter au tout communication. Les « têtes chercheuses » de l’état-major ont bien saisi que maîtriser l’information, c’était renforcer le contrôle de l’opinion publique. Excédés d’avoir été supplantés, par le passé, par l’association Greenpeace dans la couverture médiatique des essais nucléaires, les galonnés ont su investir en hommes et en matériel pour garder une longueur d’avance sur les opposants à l’atome. Ce qui a permis à l’armée de s’assurer que les premières images qui furent diffusées lors de la dernière série d’essais sur l’ensemble des chaînes télévisées mondiales, étaient bien celles qui avaient été choisies dans les sphères du pouvoir.

Orchestrée par Jacques Chirac, la propagande outrancière qui fut menée autour du projet de suppression du service militaire a montré de façon exemplaire l’importance qu’accorde l’État français à l’aura de sa politique de défense.

Le Monde libertaire soulignait à juste titre que la fin du service militaire rendrait caduques l’objection de conscience et l’insoumission en tant que formes concrètes de contestation du militarisme [1].

Afin de parvenir à faire taire la Grande muette, il nous faut donc, chaque fois que nous en avons la possibilité ; contrer la propagande Militariste. Lorsque l’on se rappelle avec quelle violence ont été molestées, par les forces de l’ordre établi, les personnes qui s’étaient rassemblées place Rihour, le 10 novembre 1994, pour manifester leur conviction antimilitariste à l’appel des libertaires lillois [2], on mesure l’enjeu que cela représente. Loin d’intimider les opposants à l’absurdité guerrière, ces violences policières ont renforcé leur détermination à se retrouver de nouveau le 10 novembre dernier pour protester contre la militarisation de la société, le plan Vigipirate [3], le nucléaire civil et militaire. Si cette fois aucun manifestant n’eût à goûter les valeurs éducatives des matraques de la flicaille, si aucune interpellation ne fut opérée, on est en droit de se demander si ce ne fut pas dû à la présence d’un cracheur de feu, venu du squatt « La Verrue » [4] nous régaler de ses arabesques chaleureuses, qui, de toute évidence, ont refroidi les ardeurs des hommes en bleu !

Non contente d’occuper les tubes cathodiques, d’organiser annuellement des cérémonies morbides au culte de la barbarie, de faire du 14 juillet qui est censé être une fête révolutionnaire une parade militaire, alors que l’on sait bien de quel côté est l’armée lors, des mouvements insurrectionnels, la chienlit kakie s’arroge le droit de venir nous emmerder jusque dans nos écoles. Entre autres infamies mises en place par la canaille socialiste, le protocole armée-éducation permet aux militaires de venir laver les cerveaux des enseignants et des enfants qui sont sous leur responsabilité. Ce fut le cas le 12 novembre dernier dans la circonscription de Beuvry (Pas-de-Calais). Sous prétexte d’initier les gosses à la musicologie et de leur présenter l’histoire de la citadelle de Lille, le 43e Régiment d’infanterie et sa fanfare sont venus leur jouer un petit air de gloriole patriotarde, sans en avoir prévenu les parents au préalable.

Suite à ce détestable concert, l’armée avait l’intention d’organiser, en collaboration avec l’inspection académique, une série de trois conférences prétendument pédagogiques. Suite aux vigoureuses protestations du syndicat CNT de l’Éducation Nord/Pas-de-Calais et de l’association « Poil-à-gratter », regroupant des parents d’élèves mécontents, la date de la première conférence fut repoussée au 20 mars. L’opiniâtreté de la CNT et de « Poil-à-gratter » a contraint les autorités à décaler une nouvelle fois la date de cette animation sur le thème de la « défense militaire et de la stratégie nucléaire française ».

Ainsi donc, en définitive, les responsables de l’Éducation nationale et de l’armée ont fini par arrêter la date du 22 mars (les soixante-huitards apprécieront !) et après avoir pressenti la salle Georges-Brassens de Noeux-les-Mines (il a dû s’en retourner dans sa tombe, le bougre !), ils ont opté pour la salle des fêtes de cette même ville.

À l’appel de l’Union régionale de la CNT-AIT, des Verts du bassin minier ouest, de l’association « Poil-à-gratter » et de l’Alliance rouge et noire, un rassemblement de protestation fut organisé aux abords de cette salle. Drapeaux noirs déployés, une poignées d’individus a choisi d’aller plus loin et a investi la salle où plus de 200 instituteurs et institutrices écoutaient sagement le conférencier, sous les regards protecteurs de l’inspectrice académique et d’un chéfaillon militaire.

L’intervention inopinée de ces anarchistes déterminés a obligé, de guerre lasse, les responsables à annuler cette « réunion de travail » [5], comme la définissait le conférencier. Ils ont bien fini par se rendre compte que ces « agitateurs » resteraient sur place tant qu’il le faudrait, pour empêcher que cette réunion ait lieu et ce, malgré les appels au calme (à l’ordre) de l’inspectrice, du porteur de képi, du commissaire de police et des syndicalistes réformistes (FEN et SNUIPP).

Certains instituteurs ont poussé le zèle bêlant au point de proposer à leurs collègues de rester dans la salle jusqu’à l’heure prévue par la hiérarchie, même si la conférence ne pouvait avoir lieu. Qu’ils n’aient crainte, ils auront leur note de service augmentée, en bons serviteurs de l’État qu’ils sont !

Les libertaires ont profité de cette action pour développer, devant les enseignants réunis bon gré mal gré dans cette salle (ces conférences sont obligatoires et bien peu osent s’y soustraire), bon nombre des arguments antimilitaristes. Aux alentours de 19 h, tout le monde a fini par évacuer la salle sans qu’aucun des compagnons libertaires n’ait à subir de contrôle d’identité ni de garde à vue. Espérons que cela aura dissuadé les militaires à venir reparler de la dissuasion nucléaire dans les écoles avant longtemps. Laissez-moi rêver !

Christophe Fétat (adhérent individuel FA - Lille)


[1Le Monde libertaire nº 1035 du 21 au 27 mars 1996. Ce qui en attendant cette suppression n e retire aucune validité à l’objection et à l’insoumission.

[2Le Monde libertaire nº 975 du 17 au 23 novembre 1994.

[3Soit dit en passant le plan Vigipirate est toujours en vigueur à Lille ce qui nous vaut le déplaisir de croiser force Kakis dans les allées de la gare et du métro.

[4Squatt qui s’était établi dans la rue Francisco-Ferrer du quartier de Lille-Fives. Les squatters ont depuis été expulsés par les pandores.

[5L’étymologie nous rappelle que « travail » vient d’un mot latin qui désignait un instrument de torture.