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Ni stock-options ni actionnariat}

Contre la loi de la jungle, pour l’égalité économique

Le jeudi 2 décembre 1999.

« Dis, papa, t’en as, toi, des actions ? » Voilà la nouvelle campagne publicitaire avec laquelle on nous assomme ces temps derniers. Noël approchant, offrez donc des actions. C’est facile, c’est pas cher et ça peut rapporter gros. Et puis vos enfants ne comprendraient pas pourquoi leur père (notez que c’est une pub entre père et fils… le pognon, c’est une affaire d’homme) serait le dernier ringard qu’ils connaissent à ne pas boursicoter comme un malade fiévreux qui tache son slip derrière quand Wall-Street est en baisse et qui le tache devant quand Dow Jones est en hausse.

Oui, le pognon est très tendance cet hiver. On ne parle que de ça. Mais nous vivons une époque toute de contraste. Les actions, la bourse, les fameuses stock-options, les fonds de pension pour les retraites, la participation des actionnaires-salariés aux destinées mondiales de l’entreprise sont présentées comme la marque du progrès qui s’avance, piétinant sans regret ce XXe siècle trop marqué par des avancées sociales arrachées par le terrorisme ouvrier. Le véritable intérêt des ouvriers (pardon, de l’ouvrier, puisque les classes sociales n’existent que dans les cerveaux malades de révolutionnaires passéistes et attardés) ne se trouverait donc pas dans le partage des richesses mais dans la satisfaction de voir que l’entreprise se porte bien et que grâce à cette prospérité, son emploi n’est pas en danger. Pardi.

La prospérité capitaliste, on en crève

Dans le même temps la presse, écrite ou radio-télé diffusée, semble découvrir les raisons du succès du capitalisme, et avance, de-ci, de-là, timidement tout de même, un début d’explication à la misère du monde en général et du Tiers-Monde en particulier. Il se murmure, dans certains cercles bien informés, que le cachet versé à une seule star du basket-ball américain pour sa participation dans les spots publicitaires d’une marque de chaussures, dépasserait à elle seule l’ensemble des salaires annuels des ouvriers asiatiques qui produisent lesdites chaussures. Alors bien sûr, ces chaussures, pour pérenniser l’emploi, une fois produites, il faut les vendre. Et une star, ça fait vendre (je n’ai pas encore compris pourquoi, mais, ça fait vendre). Mais quand même, ça fait bizarre comme contraste, ça laisse comme un sale goût.

Comme l’exprime si bien un vieux proverbe anarchiste, « Tant qu’il y aura du pognon, il n’y en aura pas assez pour tout le monde ». Le but du congrès mondial du capitalisme de Seattle ne sera donc pas de savoir comment partager l’argent, mais de savoir comment se le départager. La Chine qui n’a plus de rouge que le sang et la honte vient y offrir, elle, ses centaines de millions de pauvres en sacrifice sur l’autel du Marché en guise de cérémonie de baptême pour ses quelques centaines de milliers de nouveaux riches. En voilà des pour lesquels il n’y a pas besoin de faire des cours de rattrapage sur le bien-fondé du petit actionnariat le soir à la télévision. Pas comme nous autres, andouilles de Français, qui n’avons pas encore compris que seuls les rats survivront.

Mais si le Français est frileux en matière d’actions en bourse, ne le doit-on pas quelque part à cette catastrophe humaine que fut la ruine de tant de petits porteurs d’emprunt russe en 1917 ? Qu’à cela ne tienne, que diable, le gouvernement populaire du sommet duquel nos dirigeants bien aimés veillent sur notre bien-être vient de décréter une indemnisation forfaitaire de 800 FF par porteur, pour solde de tout compte. C’est vraiment Noël sur tous les fronts ! Voilà qui ne manquera pas d’apporter de l’eau bénite aux moulins à prière des économistes de France-Info, du Point, (et de quelques autres), dont on ne pourra pas dire qu’ils n’ont pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour nous faire acheter du Matra, du Cégétel, du Vivendi et du tutti quanti. Sur le long terme, la bourse est un placement sûr.

Pas de répit pour les patrons

Il faut du désordre à tout ça. Et il en faut beaucoup. Et quand nous disons désordre, nous ne pensons pas à quelques interventions d’élus 100 % à gauche, à l’adresse de quelques pantins encravatés. Non, il nous faut du désordre qui tout le temps et partout interpelle, harcèle et gêne les riches, les patrons, les chefs et surtout les cons.

Mais au lieu de ça, tout rentre dans l’ordre puisque le bon chancelier Schroeder qui doit quand même bien s’y connaître en matière de justice sociale, vu qu’il est socialiste, considère désormais qu’il ne croit plus qu’une société égalitaire soit souhaitable. Laissons donc ce genre de spécialistes disserter à loisir sur la question, et agissons plutôt. Avec un peu de chance, on aura fini la révolution avant qu’ils n’aient renoncé à chercher du poil à l’œuf…

Andi. B