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35 heures à la SNCF

Vers un nouvel automne chaud ?
Le jeudi 2 décembre 1999.

Au printemps dernier, de façon subite, la direction de la SNCF s’engageait dans une négociation marathon et forcenée pour obtenir un accord sur la réduction du temps de travail avec les organisations syndicales. Les choses ont paru traîner, se compliquer, les bases syndicales ont toujours et pratiquement partout marqué leur opposition mais, à part chez SUD, elles n’ont jamais été consultées régulièrement. Enfin, avant l’été, l’accord était signé entre la direction, la CGT la CFDT et un syndicat fantoche de cadres supérieurs : le SNCS.

Les dessous d’un accord

Il pourrait paraître inutile alors que nous sommes aujourd’hui à un mois de la mise en œuvre de cet accord particulier de RTT (voire plus près peut-être d’une grève) de se poser la question de savoir ce qui a motivé les uns et les autres pour se mettre d’accord sur un texte qui n’a fait l’unanimité que dans les hautes sphères des directions, tant syndicales que patronales. Mais cette question a sans conteste son importance parce qu’il faut bien comprendre à qui profite le crime pour savoir se qui se trame en toile de fond. En bref, le plus simple est de penser que le gouvernement de gauche a eu besoin « d’entreprises pilotes » pour sa ou ses lois sur la réduction-flexibilité du temps de travail. En conséquence, le camarade ministre Gayssot, qui ne cesse de donner des gages de fidélité communiste au gouvernement de gauche plurielle, se serait empressé de demander à la direction des chemins de fer un accord qui fasse vite les titres de l’actualité. Évidemment la SNCF n’a rien à refuser au ministre, pas plus que la CGT à un ministre communiste ni la CFDT à un gouvernement rose-rouge-vert. Rien sur rien de tout cela n’est absolument faux et s’il est clair que le gouvernement a gonflé les chiffres avec ce type d’accord passé dans des entreprises à personnel nombreux, cela ne suffit pas à expliquer l’attitude des dirigeants de la SNCF ni d’ailleurs des syndicats signataires.

Un conflit flagrant : flexibilité contre conditions de vie et temps libre

Pour la direction de l’entreprise, il y a clairement plus à prendre dans cet accord que la satisfaction d’un ministre qui d’ailleurs est par définition de passage. Il faut savoir que la SNCF est depuis longtemps engagée dans une politique de diversification de ses activités ; une sorte de holding dont le noyau dur est, pour l’instant, l’entreprise ferroviaire de service public dont le personnel bénéficie d’un statut particulier censé compenser la continuité dudit service public qu’il assure. Cette fameuse continuité se traduit concrètement pour une bonne part des salariés par des horaires de travail de nuit souvent en roulement 3x8 y compris les samedis, dimanches et jours de fêtes, en bref par une très forte flexibilité. Les dirigeants des chemins de fer, qui sont souvent de grands pourfendeurs du service public parce qu’il interdit une « expansion agressive », sont également très intéressés par cette flexibilité. Il ne leur restait plus alors qu’à obtenir à l’occasion de ce bel accord la possibilité d’organiser le temps de travail des agents en fonction des flux saisonniers de transports : c’est chose faite.

De leur côté, les deux grands syndicats de la SNCF, à savoir la CGT et la CFDT, ont par leur signature sans doute voulu aussi donner des signes marquants de changement de politique. Ainsi la CFDT des transports, si elle a toujours affirmé qu’il fallait aider un gouvernement s’il est de gauche a sans doute donné des signes d’allégeance, par cette signature, à une direction confédérale dont elle représentait jusque-là la principale opposition. Par ailleurs, la quasi inexistence de la CFDT au niveau des négociations locales de l’accord tend à prouver que cette fédération a subi de graves pertes de militants qui doivent nécessairement la rendre plus prudente. Quant à la CGT, le mouvement qui l’anime actuellement et qui se dévoile en partie à l’occasion de cette signature est à mon avis beaucoup plus profond. Depuis les grèves de l’automne 95 et même si ce n’est pas apparent, toute la confédération, du moins la frange des indéboulonnables permanents, est traversée par un courant qui se prononce clairement pour un syndicalisme de « proposition », c’est-à-dire qui ne combatte pas trop et tire les bénéfices d’un véritable partenariat avec les patrons. Ne cachons pas que la signature de l’accord ne s’est pas faite sans une belle crise interne et qu’il subsiste des tensions graves entre l’appareil et les militants, dû au fait, notamment, que les syndicats n’ont pas été consultés, et pour cause : ils auraient rejeté cette nouvelle flexibilité.

Et maintenant ?

Alors que tout l’été pas un cheminot ne semblait se soucier des conséquences d’un accord signé de toute urgence, depuis la rentrée les mentalités et donc la situation ont changé. D’abord parce que les militants, notamment les opposants à l’accord, ont pris en main le dossier et imposent dans de nombreux endroits à la direction, et sous la pression des cheminots qu’elle n’utilise pas les dispositions du texte qui renforce la flexibilité. Ensuite parce que les directions locales de la SNCF ont montré beaucoup d’empressement à mettre en œuvre un accord somme toute très libéral, montrant ainsi une certaine volonté d’en finir avec les garanties collectives et mettant de ce fait en évidence pour les cheminots la nocivité de ces « 35 heures ». Tout le monde a bien compris que dans un contexte général de casse des services publics, ce texte était aussi une arme de la direction pour, à terme, casser les garanties du statut et augmenter la productivité aux dépens des conditions de vie et de travail des salariés. À l’heure où j’écris, les préavis de grève se multiplient, l’hiver qui vient pourrait être chaud mais il est clair que le poids des fédérations qui se sont engagées par leur signature pèsera lourd dans un conflit latent. Quoi qu’il en soit, la lutte ne s’arrête pas, ce n’est qu’un des coups du patronat libéral contre le service public. Et le service public, c’est l’affaire de tous !

Laurent [M.]. — groupe La Sociale (Montpellier)