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La Chine aux portes de l’OMC

Le communisme de marché

Le jeudi 2 décembre 1999.

Après treize ans de candidature infructueuse, la Chine est en passe d’adhérer à l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce qui à pris la suite le 1er janvier 1995 du GATT ­ l’Accord Général sur les tarifs douaniers, né au lendemain de la deuxième guerre mondiale à l’initiative des États-Unis ­ et dont le champ d’application dépassé le simple commerce des marchandises initial, pour s’étendre aussi aux biens et aux services ainsi qu’aux droits de la propriété intellectuelle ; bref tout échange est désormais marchandisé.

Ce 15 novembre après cinq jours d’intenses tractations menées à Pékin, un accord bilatéral a en effet été signé entre négociateurs chinois et américains. Au terme de cet accord, la Chine s’engage a abaisser le niveau moyen de ses droits de douane de 22 a 17 %, avec des baisses spectaculaires dans certains secteurs, comme l’automobile qui passera en cinq ans de 100 % a 25 %, et le secteur agricole, domaine sensible s’il en est puisque la paysannerie est encore majoritaire dans le pays et est un des piliers sur lesquels s’appuie le régime communiste pour avoir été la première bénéficiaire des réformes économiques lancées il y a vingt ans par Deng Xiaoping, est également concerné.

Rien ne résiste à la libéralisation de l’économie

la Chine va aussi ouvrir au capital étranger des secteurs stratégiques comme les télécommunications, avec prise de participation à terme jusqu’à 50 %, et les banques étrangères vont pouvoir prêter à leurs clients chinois en utilisant la monnaie locale, le renminbi. Les exportateurs américains pourront organiser leurs propres circuits de distribution, et dans le domaine de la culture le quota de films passera de 10 a 20. En échange, les États-Unis acceptent de supprimer à terme les quotas d’importation de textile chinois. Même si ce dernier point risque d’entraîner une crise de l’industrie textile américaine, et donc des emplois qui y sont liés, les américains espèrent tirer des concessions chinoises une baisse notable de l’énorme déficit de leur balance des paiements puisque les exportations chinoises se montent à 244 milliards de francs par an contre 109 milliards de francs d’importations, soit un déficit américain de 135 milliards de francs !

Pour autant la Chine n’a franchi qu’une étape en vue de l’adhésion a l’OMC, même si c’est la plus importante. Il faut maintenant que le Congrès américain entérine l’accord d’ici le 15 janvier 2000, et c’est loin d’être certain compte tenu de la tradition d’isolationnisme des républicains qui sont majoritaires et ont l’œil fixé sur la prochaine élection présidentielle prévue en novembre 2000. Il faudra ensuite que la Chine signe d’autres accords bilatéraux, notamment avec l’Union Européenne, actuellement premier exportateur dans le commercial mondial, dont les intérêts ne correspondent pas forcément avec ceux des américains, même si d’après un porte-parole de la Commission de Bruxelles « 80 % des objectifs de l’Union européenne, dans ses négociations avec la Chine, sont communs avec ceux des États-Unis ». Mais une fois de plus ces derniers jouent leur jeu très personnel, et l’accord ne dit mot ni sur la question des droits de l’homme ni sur les normes sociales, alors que l’un des attraits justement du marché chinois, c’est cette main-d’œuvre quasi-inépuisable qui se déverse à flots continus des campagnes sur le marché du travail, taillable et corvéable à merci puisque toute expression autonome des travailleurs est absolument interdite par le régime communiste qui continue à s’en prétendre l’émanation, situation schizophrénique de plus en plus inconciliable d’ailleurs avec la réalité sur le terrain. Sans omettre le faible coût de cette main-d’œuvre puisque le P.I.B. chinois par habitant est seulement de 5 000 FF.

La croissance augmente, la misère s’aggrave

Quoiqu’il en soit, par les vertus du « communisme de marché », la Chine est passée en vingt ans du 32e au 9e rang des puissances commerciales, réalisant un peu plus de 3 % du commerce mondial. Elle constitue la deuxième destination du monde pour les investissements internationaux qui ont quadruplé en six ans, passant de 72,6 milliards de francs à 292,6 milliards de francs entre 1992 et 1998, et la plupart des analystes financiers, à l’instar de Goldman Sachs, prévoient une progression a venir de 643 milliards de francs par an, soit plus du double qu’actuellement. D’ores et déjà les entreprises à participation étrangère emploient 11 % des actifs urbains, comptent pour la moitié du commerce extérieur et enregistrent dans le secteur industriel un taux de croissance supérieur de pratiquement 8 % à celui des entreprises d’État.

Quant au taux de croissance général, il reste fort avec une augmentation officielle de 7,8 % en 1998, soit nettement plus du double de la France, même si on constate depuis six ans une baisse relative continue après le pic de 14,2 % atteint en 1992. Mais ce taux de croissance, ajouté à la reprise depuis un an de ses exportations, qui a permis de retrouver sa compétitivité émoussée à la suite de la crise asiatique de l’été 1997, avec pour conséquence la confirmation de la non-dévaluation de sa monnaie.

C’est cette stabilité qui a pesé dans les négociations avec les États-Unis, en apparaissant comme le symbole et le gage des réformes engagées par le Premier Ministre Zhu Rongji stratège de l’entrée de la Chine dans l’OMC. En avril dernier il s’était rendu en visite officielle aux États-Unis, porteur pourtant de concessions notables arrachées au clan conservateur, mais avait du rentrer les mains vides à propos de l’OMC, fragilisant ainsi sa position. Il vient donc de marquer un point important qui va lui permettre de poursuivre le « dégraissage » des entreprises d’État qui plombent les comptes de la nation. Mais le pari est des plus risqués car elles représentent encore un peu plus de la moitié de l’activité nationale, et la cascade de faillites qu’entraînerait l’entrée dans l’OMC, notamment dans les secteurs de l’automobile, de l’acier, de la pétrochimie, de la mécanique, mais aussi de l’agriculture, alors que pour la troisième année consécutive environ dix millions de chômeurs se sont retrouvés sur le pavé, ne manquera pas d’attiser le mécontentement social qui est déjà très vif.

À ne considérer le peuple que comme une marge de manœuvre dans le cadre d’un plan de bataille géostratégique mondial, le fossé continue à s’élargir entre ce dernier et les dirigeants chinois. Jusqu’à quand ?

J-J Gandini