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Mohammed VI soigne son image

Le jeudi 2 décembre 1999.

Sans conteste, on respire mieux au Maroc depuis quelques mois, et ce parfum de liberté n’est pas simplement dû à la disparition d’Hassan le sanguinaire. En trois mois, Mohammed VI a su poser des actes symboliquement forts. Le premier d’entre eux fut le retour au pays d’Abraham Serfaty.

Des « bonnes actions » pour commencer

Ce militant d’extrême gauche étant devenu le plus vieux prisonnier politique connu, une fois Mandela libéré, Hassan II avait en effet dû le laisser partir, quand la pression internationale avait été trop forte. Ce que 17 ans de prison, de torture et de terreur n’avaient pas réussi à briser, l’exil le réalisa… Depuis quelques années, A. Serfaty multipliait les demandes, officielles ou officieuses, de retour au pays. Vieilli, handicapé (souvenir des bons soins prodigués durant son incarcération), Serfaty ne supportait pas l’idée de mourir en exil… Grâce à l’activisme de proches du trône, tel le conseiller Azoulay, le « rapatriement » de Serfaty fut rapidement organisé (après l’ultime requête de Serfaty auprès du nouveau monarque). Une seule exigence : le silence complet jusqu’à l’arrivée sur le sol marocain, le 30 septembre dernier. Depuis, Serfaty, dans son fauteuil roulant, se considère comme extrêmement privilégié car respirant enfin sous le soleil du Maroc…

Dans le même temps, la famille de Mehdi Ben Barka était autorisée à séjourner au Maroc : avec ces deux seuls noms, c’est une vraie réconciliation symbolique qui était opérée. Quand Hassan II, en 1997, a nommé un socialiste premier ministre (Youssoufi, qui lui aussi a connu un temps prison et exil), il a consciencieusement écarté ce nouveau gouvernement de terrains trop brûlants. Le ministère de l’Intérieur, entre autres, est resté aux mains du détestable Basri, fidèle au poste depuis 1974. Symbole de la politique sécuritaire d’Hassan II, véritable premier ministre occulte, Basri s’était fait huer à plusieurs reprises lors des premiers voyages officiels de Mohammed VI.

Le 9 octobre, un communiqué du palais est diffusé par la radio nationale : « Sa majesté Mohammed VI a reçu le ministre de l’intérieur Driss Basri, mardi, au palais royal de Marrakech et l’a démis de ses fonctions. » Sobrissime. C’était plus qu’une bonne nouvelle pour toutes les personnes qui s’étaient si souvent heurtées à la toute-puissance des caïds (Basri exerçait sa tutelle sur les collectivités locales) ou des autorités policières, qu’il n’a cessé de renforcer pendant toute cette période « post-oufkirienne ». Alors que Mohammed endossait, en tant que prince probablement héritier, le rôle du « bon mais faible », un trimestre au pouvoir l’a propulsé au statut de « simple, bon, intelligent et volontaire », adulé par le peuple reconnaissant.

Que ce soit ou non par pur souci de son image de marque, le fait est que des changements concrets sont intervenus. À Rabat comme à Marrakech, Mohammed délaisse les palais royaux et continue d’habiter ses villas de prince héritier. Cela se traduit par la suppression de centaines d’emplois « de standing », et par une énorme réduction des dépenses de fonctionnement. Enfin, le fait qu’il prenne en mains personnellement des dossiers qui se perdaient auparavant dans les méandres de l’administration et du « mal-vouloir » des autorités a ajouté une touche essentielle au portrait.

Alors, qu’espérer ou que craindre de cet état de grâce ?

Lucidement, il faut bien réaliser que toutes ses nominations n’ont eu d’autre effet que de virer les serviteurs d’Hassan pour caser ses disciples et qu’il n’a jamais fait qu’user de ses pouvoirs pour asseoir son autorité, avec un sens de l’image qu’on lui a probablement appris dans les grandes écoles françaises.

Avec un gouvernement socialiste qui « privilégie l’économie, en créant les conditions d’une relance durable et en améliorant les équilibres globaux » [1], des choix économiques et sociaux basés sur un « blairisme » trop bien compris semblent être à redouter.

Mais, mais, mais… le fait est qu’on parle plus librement dans les rues, et que l’information n’est plus filtrée comme elle l’était.

Parce qu’on peut lire dans la presse marocaine des articles encore inimaginables il y a un an (Le Matin du sahara n’étant pas ce qu’on appelle un journal d’opposition), parce qu’on n’a pas le droit de mépriser les souffles de liberté, même sous une monarchie : n’oublions pas, le 23 juillet prochain, d’arroser l’anniversaire de la mort d’Hassan.

Maud


[1Oualalou, ministre de l’Économie et des Finances