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1997 : une année en trompe-l’oeil

Le jeudi 18 décembre 1997.

Au moment de faire le bilan de l’année 1997 on essaie, par réflexe, de se repasser le film des événements, de faire une liste exhaustive des faits qui nous semblent les plus marquants, catégorie par catégorie : politique, économique, social, culturel, etc. Mais très vite on s’aperçoit que notre mémoire a du mal à dégurgiter un tel catalogue parce que rien de très extraordinaire n’y est resté gravé.

1997 serait-elle une année bidon avec un encéphalogramme plat ? R.A.S. selon la codification des pros du crime républicain ? Pris sous l’angle des grands moments historiques parfumés à l’émotionnel et à l’hémoglobine, c’est sûrement vrai. Mais rien ne serait plus illusoire que de croire que 1997 fait partie de ces années ordinaires où la stabilité et la continuité des rapports sociaux de production capitaliste se reproduisent tranquillement, sans heurts majeurs. Au contraire, 1997 est une année charnière qui aura vu s’affirmer les nouveaux modes de gestion des grandes institutions publiques et se renforcer les nouvelles relations entre pouvoirs et représentations sociales, dans l’entreprise comme dans la ville.

L’année 1997 sera celle de l’officialisation, par élections législatives interposées, d’une nouvelle conception des rapports entre « société » et « pouvoir » qui va nous imposer une autre vision des luttes de classes.

l’institutionnalisation d’une gestion trans-partis du pouvoir !

Après les expérimentations improvisées et imposées par les échéances électorales de 1986 (couple Mitterrand/Chirac) et celles de 1993 (couple Mitterrand/Balladur) une gestion trans-partis est aujourd’hui appliquée dans le champ politique, comme la gestion est devenue transnationale dans le champ économique.

En effet, et contrairement à l’idée diffusée par Jospin voulant nous convaincre que Chirac s’est fait prendre à son propre jeu en dissolvant l’Assemblée nationale en avril dernier, il faut prendre conscience qu’il s’agit d’un calcul politique de Chirac, rendu possible parce que fondamentalement l’État et le capitalisme n’avaient rien à craindre et gagnaient sur tous les tableaux, quel que soit le résultat des élections. Le cynisme a sans doute été poussé jusqu’à souhaiter le départ d’un Juppé en incapacité d’assurer la cohésion sociale et donc devenu un risque politique.

Nous sommes entrés en 1997 dans la mise en pratique préméditée, voulue et calculée, d’une nouvelle forme d’organisation du pouvoir due à l’homogénéisation de la classe politique, produit de l’intégration économique et politique des classes moyennes dans l’institution étatique.

L’État français n’est pas cogéré dans un rapport conflictuel entre Chirac et Jospin, représentants d’un clivage gauche-droite, mais administré, tel un conseil d’administration, par deux libéraux, représentants d’intérêts parfois opposés mais le plus souvent convergents, et toujours soucieux de préserver l’essentiel, à savoir la reproduction de la domination des classes dirigeantes.

Quelques frictions surgissent. Elles sont le fruit de la résurgence d’une culture politique spécifique à chacun d’eux, et aussi des querelles de préséance liées à leurs ambitions particulières et à la nécessité de divertir le bon peuple. Mais c’est vraiment une autre forme de libéralisme qui se met en place, par tâtonnements successifs, comme d’autres formes de domination et d’exploitation s’imposent progressivement sur les lieux de travail et de vie, avec aussi des heurts et des confrontations. Nous changeons de système politique, sans vraiment nous en apercevoir, ou du moins nous avons du mal à en avoir une conscience claire et collective.

Il s’agit bien d’une révolution rampante, même si le romantisme n’est plus de mise et la mise en spectacle devenu superflue. Les classes dominantes n’ont plus besoin, en France, de bonnes guerres ou de drames sociaux héroïques pour légitimer et asseoir leur pouvoir. Elles pratiquent plutôt la révolution permanente, inodore et sans saveur, le harcèlement quotidien, le consensus politique, et surtout requièrent notre participation active, sous prétexte que nous sommes devenus « citoyens »… et à défaut admettent notre indifférence.

D’où cette impression écrasante et étouffante que de toute façon les choses se font, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, et qu’importe de savoir qui est au gouvernement puisque notre réalité est façonnée dans d’autres espaces de pouvoir que ceux de la représentation politique.

La cogestion réformiste n’est plus de mise, la guerre économique et sociale règne partout !

Certains s’offusqueront sans doute, sous prétexte que depuis plus de six mois le gouvernement est de gauche, que c’est très important et que comme d’habitude les anarchistes ne font pas dans la nuance. Le militant de base ou le simple sympathisant de la « gauche plurielle » croit que malgré tout, il est bon que la droite ne soit plus aux affaires et qu’avec un peu de patience les choses seront moins pires. C’est une croyance tenace à laquelle nombre de personnes s’attachent encore mais qui montre quand même une sacré dose de désillusion.

Cette conception de la nécessité de conquérir le pouvoir politique relève d’une époque où être de gauche donnait à un individu des références porteuses de revendications progressistes, et lui permettait d’être ainsi partie prenante d’un rapport de force permettant de contraindre les capitalistes à concéder des améliorations économiques et sociales. Être réformiste avait un sens parce que concrètement les salariés voyaient s’améliorer leurs conditions de vie et de travail.

L’État et le capitalisme acceptaient certaines revendications dans la mesure où elles s’inscrivaient à l’intérieur d’un compromis tout à leur avantage. La gauche constituait réellement une force différenciée de la droite et les anarchistes le reconnaissaient, même s’ils pensaient, à juste raison, que le réformisme et la cogestion ne conduiraient jamais à la révolution. Aujourd’hui cette vision des rapports entre gauche et droite n’a plus rien à voir avec une quelconque réalité, et les anarchistes doivent aussi en prendre la mesure.

Pour des raisons tenant tout à la fois de sa logique économique interne et d’un contexte politique nouveau (plus de « bloc soviétique ») le capitalisme a accéléré sa mondialisation, accroissant les rythmes de restructuration et de concentration des entreprises industrielles et financières transnationales.

Cet engrenage impitoyable rend les modes de gestion du personnel, comme la politique des prix et des salaires, extrêmement durs. Il n’y a plus de place pour les petits cadeaux, les notes de restaurant et autres avantages jadis accordés aux cadres moyens. Pas question bien entendu d’accorder le moindre avantage au petit personnel. Au contraire il faut le bousculer, le précariser, voir le terroriser pour l’obliger à accepter des salaires de plus en plus bas, dans des conditions de plus en plus stressantes, sous prétexte de voir le site de production abandonné et le patron aller s’installer là où son profit est supérieur. La pression économique est donc individualisée, mais aussi collectivisée, puisque des entreprises, voire des régions entières, sont instrumentalisées et mises en concurrence.

Dans cette guerre économique, il n’y a plus de place pour la concertation, le respect de l’individu, ni quoi que ce soit d’ailleurs. Il y a la brutalité des faits, c’est tout. Le réformisme a fait son temps, parce que cela ne correspond plus aux nécessités économiques, ni aux jeux de pouvoir actuels.

Cette situation inédite depuis longtemps pose de sérieux problèmes à nombre d’organisations et de militants, qui trop souvent se sont reposés sur la reproduction de comportements revendicatifs acquis et perçus comme immuables. Les remises en question collectives sont très difficiles et parfois impossibles de l’intérieur.

le darwinisme politico-syndical : s’adapter ou mourir !

Certaines organisations politiques et syndicales ont perçu cette mutation et ont choisi d’être dans le camp des « gagnants ». Elles développent des stratégies cohérentes pour s’adapter à cette révolution rampante. C’est le cas du P.S. et de ses satellites, comme de la F.E.N. et de l’U.N.S.A., de la C.F.D.T. et de quelques autres.

Pour eux, tout va bien, et on se bouscule pour intégrer leurs réseaux, car au bout il y a la gamelle. Le cas de la C.F.D.T. est exemplaire en ce sens que cette organisation s’est affichée ouvertement avec Juppé contre le mouvement social de 1995, et sa secrétaire générale s’est faite huer publiquement.

Elle impulse les nouvelles formes de gestion des organismes sociaux qu’elle « contrôle », poussant toujours plus à la privatisation de la protection sociale. C’est pour cela que la C.F.D.T. a l’appui du P.S. comme des patrons, sans que cela ne nuise à son développement. Elle arrive même à se fabriquer une image de syndicat de lutte. Ce fut le cas lors de la dernière grève des routiers, largement pré-médiatisée et dont l’issue a été l’objet d’une polémique virulente avec F.O., ce qui ne doit rien au hasard. Seule l’origine sociale de ses adhérents évolue, tout comme le P.S. avoue ne pas ou peu représenter les classes pauvres.

D’autres se savent plus très bien où est leur espace politique et sont soumis à des pressions internes contradictoires. C’est le cas du P.C. mais aussi de ce qui reste de l’extrême gauche, comme de la C.G.T. et de F.O. Leur légitimité idéologique est détruite et leur avenir est derrière eux. La seule référence idéologique du P.C. d’aujourd’hui se résume à un vague humanisme puisque le marxisme-léninisme n’est plus présentable.

La C.G.T., bien qu’encore encore imprégnée de la lutte de classes, marche sur une seule jambe parce qu’il lui manque les perpectives politiques qu’autrefois le P.C. se chargeait s’assumer pour elle. C’est pourtant l’organisation syndicale qui reste la mieux armée pour capter à l’avenir le prolétariat qui subit le plus les effets du capitalisme-piranhas. Le discours de la C.G.T. essaie aujourd’hui de mettre en avant des concepts inspirés d’un anarcho-syndicalisme aseptisé. Mais ne sera pas suffisant pour répondre à la radicalité sociale que requière la situation.

F.O. revendique la cogestion et a souvent pratiqué la collaboration de classe, sous un vernis d’indépendance syndicale. Ce syndicat voit son espace social se refermer au fur et à mesure que la C.F.D.T. s’intègre dans les structures gestionnaires du système. Et les coups de gueule de Blondel ne font que relever le fait que ce type de syndicalisme est bel et bien aux abois.

Cependant ces lourdes machines ont suffisamment d’inertie de fonctionnement et de permanents pour qu’elles puissent perdurer pas mal de temps, d’autant plus qu’elles rendent encore de bons « services », les choses ne se transformant que progressivement.

La gauche plurielle doit s’intégrer à l’édifice étatique ou disparaître !

C’est dans ce contexte qu’a surgit en 1997, le terme de « gauche plurielle » peu en cours auparavant. L’expression est on ne peut plus révélatrice de la désespérance de ces milieux politiques. Elle est le produit de la nécessité de resserrer les liens entre différentes composantes politiques pour éviter le naufrage et paraître fort.

Et c’est tout à l’avantage du P.S., qui a ses entrées dans les puissantes transnationales comme il a la sympathie des classes moyennes, et se trouve ainsi au centre de toutes les stratégies politiques actuelles. Le P.S. a tout intérêt à phagocyter un P.C. disposant encore de capacités militantes non négligeables. Cela lui permet très concrètement de faire passer ses textes de loi et sa politique dans les entreprises sans trop de vagues, y compris sur l’Europe et la monnaie unique.

À ce sujet, la manifestation prévue en janvier prochain par le P.C. contre l’Euro tient plus de l’enterrement que de la relance d’une dynamique de contestation. Les ministres P.C. se comportent « bien », et sont au service d’une stratégie visant à poser le parti comme une force politique responsable, capable de prendre en compte l’intérêt général, c’est à dire sachant être à l’écoute et au service du patronat. Le P.C. espère ainsi sauver les meubles en attendant de savoir ce que pourrait être son avenir.

La gauche extrême, toutes tendances confondues, opère elle aussi sa reconversion et cherche à négocier quelques strapontins auprès du P.C., voir du P.S. Leurs critiques de la « gauche plurielle » sont étonnamment molles, alambiquées et frisent le suicide politique. Leur attitude pendant la dernière campagne électorale a été lamentable et cela ne s’est pas arrangé depuis.

Dans une certaine mesure, cela ne fait pas vraiment l’affaire du P.S. qui préfère sûrement pouvoir disposer dans un petit coin d’une ou plusieurs organisations dites révolutionnaires. Cela peut toujours servir, en cas d’émeutes, à canaliser les choses ou à disposer de coupables pour porter le chapeau. Quand à lui, le P.C. joue avec cette extrême gauche un double jeu, les utilisant pour garder quelques zestes de radicalité tout en les repoussant pour ne pas troubler sa nouvelle image de responsabilité.

Avec Voynet la messe est dite depuis longtemps, et elle-même avoue être heureuse d’être au gouvernement. Nous la laisserons toute à son bonheur. Peut-être qu’à Noël ou à Pâques ou plus sûrement après les élections régionales, elle nous dira si elle est encore sous le charme… ce sera selon les résultats que les Verts obtiendront.

Loin d’être une simple alliance conjoncturelle, la stratégie du P.S., à travers la « gauche plurielle », consiste à intégrer l’ensemble des organisations politiques de gauche dans la machinerie institutionnelle. Et contrairement à ce qui s’est passé en 1981, le P.C. et les autres semblent bien être prisonniers de cette logique là. Tous mouillent donc la chemise et prennent une responsabilité politique majeure, qui peut bien s’avérer très dangereuse à plus ou moins longue échéance. Car pour exister, la « gauche plurielle » est obligée d’aligner toutes ses forces.

Que se passera-t-il si des mouvements sociaux ou d’opinion arrivent à se produire malgré l’étouffoir mis en place ? La « gauche plurielle » n’a aucune troupe de réserve et prendra de plein fouet un éventuel échec politique. Et objectivement qu’y a-t-il comme autre recousr sinon la droite… et le F.N. ?

Il reste à construire de toutes pièces un mouvement social révolutionnaire, à caractère libertaire, et c’est bien notre ambition en tant qu’organisation anarchiste. L’espace politique existe potentiellement, encore faut-il une prise de conscience collective de cette situation, et des militants pour lui donner de la consistance. Mais cette perspective nécessite à elle seule plus qu’un article de presse.

Dans l’immédiat, nous sommes bien obligés de constater que les luttes revendicatives se sont considérablement réduites et que les espoirs suscités en novembre et décembre 1995 ont été largement déçus. La politique initiée par le P.S. s’avère donc efficace et rentable… pour la classe dominante.

la « gauche plurielle » aux affaires : c’est pas la gloire !

Sur le plan économique et social, le bilan 1997 de cette « gauche plurielle » n’est pas vraiment brillant. Pour la plupart des salariés, cela se résume à quelques timides mesures : à peine + 4 % pour le S.M.I.C., création de 350 000 emplois-jeunes dans la fonction publique sur des postes contestés et porteurs d’ambiguïtés à l’avenir, quelques mesures poudre-aux-yeux sur la répartition des allocations familiales, un projet de loi sur les 35 heures pour tous en l’an 2002 dont les conditions d’application sont très floues, sauf en ce qui concerne les primes allouées aux patrons, et qui laisse sous-entendre un développement et une légitimation de la flexibilité.

Par ailleurs, le cadre politique dans lequel cette politique économique s’inscrit est l’adhésion au tout libéral, tant au niveau européen et mondial que par la continuité des processus de privatisations des services publics à l’intérieur. Le premier test aura été l’affaire de Renault Vilvorde, où la stratégie patronale a été confirmée par Jospin en dépit des promesses électorales.

Traitement identique pour France Telecom, où de vagues et foireuses promesses de référendum auront permis de mettre un mouchoir sur les engagements électoraux. Idem dans la santé, avec la restructuration des hôpitaux et des systèmes de protection sociale qui prépare activement la privatisation. Idem dans les banques et les assurances, dans l’éducation nationale et même à la S.N.C.F. (création de deux sociétés séparant les activités de vente de services des activités d’investissements en matériel et d’entretien) et ce en dépit d’un ministre communiste, etc.

Par ailleurs, toutes les études statistiques récentes font ressortir le développement de la précarité, du chômage et de la pauvreté. Les inégalités sociales s’affirment chaque jour avec plus de morve. De plus les cracks boursiers à répétition qui se multiplient en Asie présagent mal du taux de croissance de 3 % à partir duquel le budget 1998 a été construit.

Et comme les investissements industriels stagnent, que la consommation des ménages ne repart pas vraiment, il n’est pas sûr du tout que les créations d’emplois puissent seulement freiner la courbe ascendante du nombre de chômeurs. Il faudra peut-être inventer une nouvelle manière de recenser les chômeurs pour maintenir leur nombre à un chiffre présentable. Ce ne serait pas une première. Il est même question de revoir les bases techniques de calcul du S.M.I.C. puisque c’est le vœu du patronat, qui prétend que ce salaire minimum est un frein à l’embauche !

Le pendant à cette politique économique antisociale, qui depuis quelques années met les libéraux de droite en compétition avec les libéraux de gauche, relève de la politique d’immigration et de la politique sécuritaire. Ce qui pour la plupart d’entre eux revient au même tant le discours d’extrême droite a diffusé dans leurs milieux.

Chacun y va de son mieux pour encadrer, policer, contrôler, réprimer, expulser et surtout terroriser des populations systématiquement présentées comme dangereuses. Les jeunes et les immigrés sont les cibles privilégiées de toute la classe politique.

Nombre de militants et de sympathisants de la « gauche plurielle » ont du mal à s’y retrouver et certains s’essaient à se démarquer de leurs représentants gouvernementaux. Néanmoins, sur ces aspects là aussi le carcan « gauche plurielle » arrive à peser suffisamment pour réduire à peu les manifestations de solidarité avec les sans-papiers et les populations d’origine immigrée.

Attention, les violences peuvent précéder un retour de la lutte de classes !

Depuis plusieurs mois, la violence sociale s’accroît, et elle est l’objet d’une instrumentalisation de la part des partis politiques. Elle se manifeste dans tous les espaces de vie collective, bien sûr, transports, écoles, centres commerciaux, etc., mais touche aussi en profondeur l’intimité des foyers. Les internements « provisoires » en hôpitaux psychiatriques ou dans les centres sociaux pour jeunes sont moins spectaculaires qu’un bus qui flambe mais ils n’en sont pas moins dramatiques. Sauf à croire que cette violence est le fait d’individus génétiquement marqués ou ayant irrémédiablement sombré dans la folie furieuse, il y a bel et bien là l’expression d’une désespérance collective produite par une absence de perspective politique et sociale.

Cette désespérance n’a pas commencé avec l’arrivée de la « gauche plurielle » au pouvoir, bien sûr, mais il faut prendre acte que cette soit-disant nouvelle donne politique n’a amené aucun enthousiasme, offert aucun espoir, ni changé un iota du quotidien des millions de pauvres qui crèvent d’ennui et qui accumulent les rancœurs.

La désespérance semble s’aggraver depuis que Jospin est Premier ministre.

Cette situation est dangereuse parce qu’elle permet au F.N. de se renforcer idéologiquement et électoralement. Mais le Pouvoir, apeuré par les pressions sociales résultant de sa politique économique, et influencé par la demande sécuritaire des classes possédantes, ne sait que multiplier les mesures policières, et se prépare à des situations de crise forte. Une spirale « violence/répression » s’est enclenchée, qui pourrait bien nous amener à des situations de répression institutionnelle meurtrière.

Mais politiquement, il est plus intéressant de voir les populations plus se préoccuper de leur sécurité que de les voir réfléchir à leur rapport avec les classes pauvres issues de l’immigration, comme c’était le cas en janvier et février derniers. Mais c’était avant les élections, bien sûr. Chacun a encore en mémoire les pétitions et autres déclarations de solidarité qui avaient surgi spontanément des milieux intellectuels, entre autres.

À coup sûr ces protestations et ces élans de générosité permettaient de poser les problèmes sociaux d’une manière plus ouverte et plus humaine, laissant entrevoir de belles perspectives d’entraide, et à terme des changements d’attitude collective dans notre rapport aux autres. Encore un enthousiasme saccagé pour cause de responsabilité gouvernementale !

L’année 1997 aura été une nouvelle fois une année de dupes dans le sens où les salariés savent que plus aucune organisation ne porte leurs espoirs d’émancipation.

Le problème est que, collectivement, ils ne savent pas, ou ne veulent pas se donner les moyens d’entrer en rupture ouverte avec la représentation politique.

Tout fonctionne en négatif et par peur du vide. On vote à gauche sans y croire, par réflexe, et en référence à une époque révolue. On râle et on dénonce l’incivisme, la violence, et on exige de la sécurité tout en sachant que c’est le produit de la misère sociale, et que rien ne peut, dans la logique des processus actuels, l’enrayer. On continue à vivre malgré tout, en naviguant entre les écueils, en fermant les yeux, et en espérant que les mauvais coups passeront à côté.

Chacun attend que quelque chose craque, ou se passe, tout en le redoutant parce que chacun pressent que cela risque d’être autrement plus dangereux que quelques jets de pierres. Finalement, en 1997, quelques jeux électoraux auront permis d’effacer complètement le souvenir de l’automne 1995. Les brèches ont été colmatées… Jusqu’à quand ?

Bernard — groupe Déjacque (Lyon)