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Le cas Maitron

Le mercredi 27 novembre 1985.

jean Maitron sera l’invité de la librairie du Monde libertaire pour la prochaine rencontre-débat, le samedi 30 novembre, à partir de 16 heures. Le débat sera consacré au rôle des anarchistes dans le mouvement ouvrier.
Ce même jour, mais le matin, Radio-Libertaire aura également la plaisir de l’accueillir dans son studio.

L’équipe d’animation



« On est pas mieux servi que par soi-même ! », dit la sagesse populaire ; comment ne pas songer à ce dicton devant le traitement que l’anarchisme a dû subir chaque fois ou presque que des intellectuels, bourgeois ou non, ont daigné s’en occuper. S’il y a un domaine où la falsification et l’occultation des idées libertaires s’est le plus fortement manifesté, c’est bien celui de l’histoire. Qu’il s’agisse de l’histoire « officielle », servie dans les universités, ou bien celle marxiste toute aussi sacrementalisée ; l’une et l’autre se sont toujours accordées pour traiter l’anarchisme comme le parent pauvre du mouvement ouvrier et social. Certains historiens en ont même fait un simple épiphénomène apparaissant ou disparaissant sur la scène politique du XIXe et XXe siècle, au gré de leurs caprices ; cela même en dépit du bon sens ou des simples règles d’objectivité mises en exergue de tant de volumineux travaux de recherche « scientifiques ».

Ignorance crasse et mauvaise foi déconcertante ont pu ainsi souvent se donner la main. Les Duclos, de triste mémoire, n’ont pas été des exceptions et les Avron, spécialistes fumeux à peu de frais du mouvement libertaire, sont légion. D’ailleurs les éditeurs savent qu’il y a aussi un marché possible de l’anarchisme : il n’y a donc aucune raison pour que l’on essaie pas de se faire du pognon avec Bonnot ou se payer une deuxième fois la tête de Ravachol !

Heureusement, les travaux sérieux n’ont pas non plus tout à fait manqué, et celui de Maitron sur le mouvement anarchiste en France reste sans doute encore aujourd’hui plus qu’un simple livre d’érudition ou de référence dont la lecture est irremplaçable pour tous ceux qui veulent approfondir ou simplement acquérir des connaissances solides sur le sujet. Certes les lacunes ne manquent pas, ni les imperfections ou les erreurs d’analyse, et les années en ont montré les limites importantes.

Nous pensons cependant qu’il faut encore aujourd’hui, malgré tout, continuer à savoir gré à Maitron d’avoir eu la volonté et d’une certaine manière le courage de choisir l’anarchisme comme objet principal de ses recherches sur le mouvement ouvrier à un moment où celui-ci était encore moins qu’aujourd’hui de mise dans les milieux universitaires. Maitron a pu ainsi contribuer, à sa manière, à sortir notre histoire du domaine du folklore où l’historiographie l’avait complaisamment relégué pour en faire un objet d’étude.

Cela dit, la lecture de l’ouvrage de Maitron, au-delà même de ses limites objectives (n’oublions pas qu’il s’agit d’une « thèse »), ne saurait pas pour autant nous suffire ou nous satisfaire car si l’auteur a su échapper aux pièges habituels de ceux qui parlent sans connaître, l’histoire de Maitron n’en reste pas moins une de celles dont les tenants et aboutissements nous sont étrangers. L’histoire est mémoire, et l’histoire écrite par les autres est aussi le reflet de la mémoire de ces autres ; notre auteur ne se soustrait pas à cette règle. Son objectivité est toute relative et il suffit que Maitron sorte du domaine de la description des faits pour que tout l’échaffaudage de l’érudition, patiemment construit, s’effondre. Ne demandons à Maitron ce qu’il ne peut pas nous donner !

Trop souvent dans ce domaine comme dans bien d’autres, nous avons laissé les « autres » s’occuper de nos affaires et il serait temps, qu’en tant qu’anarchistes, nous nous réapproprions notre histoire, et pensions avec notre tête. Or devant l’ampleur des tâches à mener, le simple fait de commencer à apprendre ou à réapprendre notre histoire peut paraître une chose dérisoire ou inutile. Et pourtant nous pensons qu’il y a là un point de départ obligé pour tout un travail plus vaste qui devrait permettre de nous aider à déterminer notre place dans le mouvement social et à définir nos tâches pour l’avenir.

Réapproprions-nous donc notre propre mémoire, mais non pas à la manière d’un collectionneur qui passerait sa vie à compiler des albums photos de souvenirs du bon vieux temps, ni encore moins à la manière de ceux qui voudraient trouver à tout prix dans le passé les marques d’une grandeur déchue. Évitons tout autant l’auto-commissération que l’auto-satisfaction suffisante, deux aspects d’un même nombrilisme stérile et mettons-nous au travail.

Gaetano Manfredonia.