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Les anarchistes dans le syndicalisme

Le mercredi 27 novembre 1985.

jean Maitron sera l’invité de la librairie du Monde libertaire pour la prochaine rencontre-débat, le samedi 30 novembre, à partir de 16 heures. Le débat sera consacré au rôle des anarchistes dans le mouvement ouvrier.
Ce même jour, mais le matin, Radio-Libertaire aura également la plaisir de l’accueillir dans son studio.

L’équipe d’animation



ien plus que les quelques ouvrages consacrés à l’histoire de l’anarchisme, c’est le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français qui domine l’œuvre de Jean Maitron. Il s’agit là bien sûr d’une œuvre collective — et il ne saurait en être autrement pour une tâche aussi titanesque — mais conçue, soutenue et guidée par un historien qui témoigne ainsi de son intérêt particulier pour tout ce qui touche le mouvement ouvrier, et donc essentiellement le syndicalisme et le socialisme sous toutes leurs formes.

L’historien, dans sa volonté pédagogique, a toujours beaucoup de mal à résister à la tentation de découper l’histoire en rondelles qui se succèdent de façon logique. Difficile dans ces conditions d’éviter de faire cadrer les faits avec une idée préconçue.

Jean Maitron n’a jamais cherché à faire l’apologie de l’anarchisme en étudiant son histoire, mais plutôt à comprendre pourquoi ce mouvement avait pu se développer si vite et retomber si rapidement au rang de groupuscule. Il en a déduit ce qu’en déduirait toute personne qui n’est pas anarchiste : l’anarchisme correspondrait à une époque précise, aux caractéristiques bien typées, et son avenir est sans issues dans une société moderne.

Les anarchistes pensent évidemment le contraire ! Mais revenons à l’histoire de l’anarchisme à travers celle du syndicalisme. Jean Maitron a à mon avis, commis plusieurs erreurs dans ses analyses.

D’abord l’essor du mouvement anarchiste avec son développement fulgurant au travers des syndicats, et tout particulièrement des Bourses du travail, dans les dernières années du XIXe siècle : J. Maitron a trouvé commode de faire coïncider la fin de la période des attentats anarchistes (1892-1894) avec le début de l’influence anarchiste dans les syndicats, déduisant tout simplement que les anarchistes avaient massivement changé d’optique sur les moyens d’action. Cette évolution correspond effectivement à celle d’un certain nombre d’individus, mais peut-on vraiment expliquer ainsi l’accession de l’anarchiste Pelloutier au secrétariat général de la Fédération des Bourses du travail dès 1895, ainsi que la victoire remportée par les conceptions libertaires d’indépendance syndicale et de grève générale au congrès de Nantes en 1894, qui ouvrira la voie à la création de la CGT après l’élimination du courant guesdiste ? Ces faits constituent plutôt des aboutissements d’un travail commencé depuis de longues années ; l’échec de la propagande par le fait n’a fait que renforcer un courant qui se développait.

Plus tard, lorsque éclatera la guerre de 1914, provoquant la désagrégation du syndicalisme révolutionnaire au sein duquel l’anarchisme s’était développé, l’appel à l’Union sacrée pour défendre le sol français contre l’envahisseur a été repris par certains anarchistes. Mais la célébrité de certains d’entre eux autorise-t-elle à en déduire que la majorité du mouvement a suivi cette voie ? Bien au contraire, la majorité des anarchistes, et particulièrement ! ceux qui agissaient au sein de la CGT, ont rejeté l’Union sacrée et maintenu, dans une situation peu propice à la propagande, les orientations traditionnelles de l’antimilitarisme et de l’antipatriotisme anarchistes.

On peut aussi faire des reproches au Dictionnaire. On est frappé par le peu de place qu’y tiennent les anarchistes et les syndicalistes révolutionnaires au regard de celle qu’occupent (toutes proportions gardées, bien sûr !) socialistes et communistes. Il est vrai que ces derniers laissent plus de traces fiables que les premiers : il suffit d’avoir été candidat une fois à une quelconque élection pour que les archives attribuent une étiquette indiscutable, alors que, pour les anarchistes, les sources se limitent souvent aux allégations des rapports de police. Mais cette disproportion se remarque également dans l’importante respective accordée à chacun : pourquoi dix pages pour retracer la vie du socialiste Guesde, plus souvent ministre que militant ouvrier, contre trois seulement pour Victor Griffuelhes et deux pour Émile Pouget, les deux principaux artisans de l’essor du syndicalisme ouvrier du début du siècle ?

Malgré ces menus défauts, le Dictionnaire biographique reste un outil irremplaçable pour qui veut étudier l’histoire du mouvement ouvrier ou socialiste. Du plus obscur au plus célèbre, ils y sont tous, toutes tendances confondues. En tout une quarantaine de volumes [1] qui témoigneront de la richesse et de la diversité du mouvement ouvrier français.

Alain Sauvage


[1Le dernier volume paru est le numéro 25.