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Crise du Golfe

L’Heure doit être à la paix

recherchons défaitistes, résolument
Le jeudi 4 octobre 1990.

Depuis le début du mois d’août la presse écrite, parlée et télévisée déverse ses flots d’images guerrières et de déclarations incendiaires, hurle au sacrilège, dénonce la nouvelle réincarnation du diable, use de tous les moyens possibles de manipulation pour préparer l’opinion à l’embrasement de la planète, au nom de la loi internationale et de l’ordre du monde… bref, nous vivons sous le régime de la propagande de guerre.



La bonne conscience

Ceux qui dénoncent, pour des raisons diverses, ces propos bellicistes et ces préparatifs militaires sont l’objet de l’anathème suprême : on les traite de « munichois ». Mais la référence historique est ici bien peu pertinente pour une « crise du Golfe » qui rappelle bien plus la guerre de Corée et l’affaire de Suez réunies. Comme en 1950, les États-Unis se servent de l’ONU pour couvrir leurs ambitions stratégiques. Comme en 1956, les gouvernements français et britannique s’empressent de servir les intérêts des compagnies pétrolières.
Journalistes et hommes politiques, dont les méthodes de manipulation se complètent harmonieusement, ne furent point en peine de trouver naguère aux expéditions guerrières des États occidentaux les alibis les plus honorables. Il s’agit toujours d’abattre un dictateur (mais combien d’autres dictateurs sinistres ne soutient-on pas dans le même temps ?), ou d’endiguer l’expansion d’idéologies et de régimes diabolisés (hier le communisme, aujourd’hui l’arabisme et l’islamisme) au nom de la défense du monde tel qu’il est, c’est-à-dire du maintien des intérêts acquis, des avantages (et des injustices) persistants, du renforcement de la domination des plus forts (et de l’écrasement des plus faibles), étant entendu que l’ordre existant, bon en soi, justifie tous les sacrifices que l’on demande… aux autres. On nous épargne ici la nécessité de défendre la démocratie, car personne n’a osé (tout de même !) défendre sur ce point le régime de l’émir du Koweït.

Cette bonne conscience a un nom : le droit international, et une apparence : les résolutions de l’ONU. Avec quelle satisfaction n’admire-t-on pas l’union des nations assemblées, quasi unanimes à dénoncer l’occupation du Koweït, et à pratiquer les sanctions économiques contre l’Irak. De cet ensemble à l’unisson, dont on nous cache en la circonstance les discordances (embargo ou blocus ? Sur quels produits ? Dans quelles limites ?), retenons le caractère indiscutablement partial. Pourquoi ce soudain sursaut pour l’évacuation du Koweït des troupes qui l’occupent, et pourquoi rien pour faire cesser l’occupation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du plateau du Golan par l’État d’Israël, celle du Liban par Israël encore, et la Syrie ? Cette constante pratique du « deux poids/deux mesures » par les puissances qui s’érigent en bras séculier de l’ONU ôte toute crédibilité à leurs prétentions à faire appliquer un mythique droit international, qu’elles bafouent allégrement pour leur part, lorsqu’elles veulent se débarrasser d’un gouvernement qui n’est plus à leur botte (expéditions militaires des Etats-Unis à la Grenade et au Panama), ou quand elles veulent défendre des dictateurs corrompus mais fidèles (guerre du Tchad, répression au Gabon de la part de la France).

C’est que, nous-dit-on, le Koweït et la Palestine, ce n’est pas la même chose. En effet, il y a dans cette « crise du Golfe » une priorité quasi sacrée : maintenir le monde tel qu’il a été fabriqué au début des années soixante par les puissances coloniales qui ne voulaient pas renoncer à contrôler les richesses pétrolières, érigées au rang de marchandise stratégique. Ces richesse furent confiées à des féodaux locaux et à des roitelets entièrement soumis aux impératifs capitalistes dominants, qui les récompensèrent par une participation active aux opérations les plus juteuses de la finance internationale. Ainsi le fric revint au fric, et les petits Etats du Golfe firent les gros profits.

La crise actuelle pourrait permettre de franchir une étape de plus. Aujourd’hui, c’est une politique de domination totale, de maîtrise absolue des ressources pétrolières par les économies occidentales qui tente de se réaliser définitivement. La défense du droit international a bon dos. Il s’agit, pour les puissances capitalistes, Etats-Unis en tête, de profiter d’une bonne occasion pour accentuer leur domination politique et économique, pour la rendre exclusive et incontestable. Ils s’imaginent que l’heure est venue de tout se permettre, puisque le gouvernement soviétique lui-même, avide de participer aux bienfaits de l’économie de marché, apporte son soutien explicite à cette croisade du Capital.

Décidément, les leçons de l’histoire (nous pensons à l’expédition de Suez et à la guerre d’Algérie) n’ont rien appris aux socialistes qui nous gouvernent. Soumis inconditionnellement à la logique de l’économie dominante (le capitalisme, c’est cruel pour les uns, mais c’est tellement efficace pour les autres !), mais encore assez bien placés sur le marché électoral traditionnel de la gauche, les socialistes français pratiquent en politique extérieure le même double langage : bons sentiments, droits de l’homme et dialogue Nord/Sud, pour faire écran aux choix « réalistes » qui satisfont les vraies puissances du monde d’aujourd’hui : soutien à l’impérialisme américain, renforcement des positions stratégiques de l’armée française, garanties aux « Etats-coffres-forts » du Golfe dont la raison d’être est exclusivement de servir les intérêts financiers des entreprises occidentales.

Jean Riant, Pascale Lejeune, Eric Burmann, René Warck, Eric Sionneau, Florence Meignant, Claude Cantat, Chantal Beauchamp, Pascal Aubert et Fernando Martins Balona [1].

Tours, le 12 septembre 1990


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