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La Fédération de l’Alimentation doit réagir

octobre 1954.

Dans l’industrie alimentaire plus encore que dans les autres branches de l’activité économique, les travailleurs connaissent un régime d’exploitation sans mesure, ni contrôle.



En dépit des lois et de la législation du travail petit boutiquier, comme gros fabriquant ont mille moyens pour se soustraire à la réglementation des horaires.

Les servitudes de certaines professions réduisent l’indépendance et la liberté d’action du salarié, lui ôte toute possibilité d’évasion, le sépare de la vie familiale et sociale, le retranche du monde.

Le patronat favorisé par la division du travail « et des travailleurs » renforce sa puissance coercitive. Il s’emploie à entretenir la crainte, la jalousie, la course au rendement. Son but consiste à détruire la solidarité dans l’entreprise, au moyen de primes, et de la concurrence. Développant ainsi le système D, le chacun pour soi, cette concurrence a pour résultat un avilissement effroyable de la main-d’œuvre. Présentement dans l’industrie alimentaire de la région parisienne un ouvrier qualifié de 40 à 45 ans, ne peut plus trouver d’embauche parce qu’on le considère comme déjà usé, vidé, impropre pour la production aux cadences actuelles.

Les ouvriers arriveront-ils à comprendre qu’en se surmenant, ils épuisent leur force et celles de leur progéniture : qu’usés ils arrivent avant l’âge à être incapables de tout travail ; qu’absorbés, abrutis par un seul vice ils ne sont plus des hommes, mais des tronçons d’hommes, qu’ils tuent en eux toutes les belles facultés pour ne laisser debout et luxuriante que la folie furibonde du travail.

Bien des raisons peuvent expliquer cette ahurissante servitude, l’insuffisance des salaires n’est qu’une conséquence de cette infériorité et de cette servitude. Proudhon disait : « Il faut pour relever efficacement la condition de l’ouvrier, commencer par relever sa valeur », il voulait avant tout que le travail cesse d’être dégradant. De cet aspect du problème l’ouvrier n’a cure, il a bien le sentiment à la fois vif et confus que son sort pourrait être transformé, mais il s’imagine que tout mal est réparable par une augmentation de salaire !

Les grandes centrales syndicales ne songent pas à traiter largement les différents aspects de ce problème, les militants ouvriers qui restent soumis à la discipline de l’entreprise n’ont guère la possibilité, ni le gout d’analyser les véritables solutions aux contraintes qu’il subissent chaque jour ; ils ont besoin de s’évader, et ceux qui sont investis de fonctions permanentes ont souvent tendance à oublier au milieu de leurs activités quotidiennes, qu’il y a là une question urgente et douloureuse. Les diverses centrales syndicales qui ont vidé l’action de son contenu de classe sont largement reponsables de la démission ouvrière dans l’alimentation.

Dans les luttes qu’ils engagent avec les travailleurs, les libertaires conformes aux prérogatives du syndicalisme révolutionnaire, ne se bornent pas à lutter pour défendre des revendications élémentaires. Réalistes, les libertaires qui œuvrent dans les syndicats examinereont le problème d’exploitation dans l’industrie alimentaire.

La dispersion et la multiplicité des entreprises à caractère souvant artisanal créent certes des difficultés, toutefois ces difficultés ne sont et ne peuvent être insurmontables. Même isolé un exploité doit sentir notre appui, sa situation importe beaucoup, son sort est lié à tout le mouvement ouvrier. Vouloir subordonner le concours de l’alimentation à des réalisations prétendues plus efficaces dans d’autres secteurs de l’économie serait une erreur profonde. C’est ainsi, hélas ! que l’on minimise le rôle que devrait jouer le paysan. Marx échoua grossièrement dans cette conception, en prophétisant un sursaut révolutionnaire dans les pays où l’industrie se trouvait fortement centralisée, l’Allemagne et l’Angleterre.

Ne sous-estimons pas le rôle infiniment précieux que doit jouer demain l’alimentation dans la transformation sociale.

La Commune fédérée l’avait fort bien compris en donnant la prééminence aux revendications posées par les ouvriers boulangers.

En 1922, fidèle à sa tradition de lutte, c’est également la corporation des ouvriers boulangers qui à Moscou et à Léningrad mena la dernière action contre l’emprise du totalitarisme soviétique.

En juin 1936, c’est encore avec une exacte compréhension des tâches que les employés de l’industrie alimentaire ont soutenu et activé le ravitaillement des usines occupées.

Et demain, si nous avons su lier l’action constructive à l’action éducative, les travailleurs émancipés, autour d’une table commune, offriront à l’humanité le grand bouquet de sa libération.

Jean Martin