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Les Instituteurs en Loire-Atlantique entre le silence et la répression

Le jeudi 21 mars 2002.

Depuis 1968, on n’avait pas connu une telle agitation (de plus de six semaines) dans le monde enseignant, avec de forts taux de grévistes (plus de 75 % en quelques jours), des assemblées générales avec des participations de parfois plus de 800 personnes. Ce mouvement témoigne avant tout d’un ras-le-bol face aux conditions de travail, face à une hausse démographique sans précédent sur le département, face à des classes surchargées. Des modes particuliers d’action ont été mis en place au cours des manifestations (deux ont rassemblé le 2 février et le 2 mars près de 10 000 personnes) qui ont vu près de 1 000 personnes pendant les vacances scolaires car, pour sortir de la routine des kermesses habituelles, des actions directes, plus radicales, ont été organisées avec occupation de l’inspection académique ou du rectorat, suivi de l’évacuation par les forces de l’ordre, occupation par des comités de parents de plus de trente écoles sur le département, un boycott massif des démarches administratives inhérentes au fonctionnement de l’école, etc.

Plusieurs semaines de grève

Ce ras-le-bol important, partagé bien au-delà de la sphère syndicale, est aussi dû à la modification du paysage syndical enseignant en Loire-Atlantique : la Fen s’effondre avec l’émergence d’un Snuipp plus combatif, d’un Sgen-CFDT souhaitant se redonner une image revendicative, d’un SUD qui a pu s’imposer (non sans difficultés au début) dans l’intersyndicale. À noter qu’une certaine démocratie (même si tout est loin d’être parfait) a pu s’imposer avec des assemblées générales souveraines, avec des assemblées générales de secteur, avec des mandats très clairs (comme par exemple le refus de négocier à la baisse les 500 postes réclamés depuis le début du mouvement).

Face à cette mobilisation, le gouvernement a d’abord répondu par le silence, et par le cynisme en proposant 54 postes contre les 500 réclamés et, ne voyant pas d’essoufflement du mouvement, par la répression, la provocation et par la tentative de criminalisation. La stratégie de la gauche plurielle, alliant alternativement, et avec intelligence, la répression et la négation, a toujours été utilisée et a atteint son paroxysme lors de la manifestation parisienne du 8 mars. Effectivement, près de 150 personnes qui se rendaient en car à Paris pour manifester devant le ministère de l’Éducation nationale et devant le QG électoral de Jospin ont été tout simplement séquestrées toute la journée par des forces de l’ordre (voir article en page 3). De même, auparavant, sur Nantes, après plusieurs jours de grève, le rectorat a refusé de recevoir une délégation. Les forces de l’ordre ont expulsé à plusieurs reprises les enseignants avec plusieurs blessés.

Corporatisme, émiettement des consciences

De toute évidence, ce mouvement va marquer (comme cela a été le cas dans quelques départements du sud de la France il y a quelques années) les consciences collectives du milieu enseignant, celles des jeunes militants qui veulent rompre avec la logique cogestionnaire de la veille garde syndicale, et qui ont à coeur de montrer que le syndicalisme et les luttes sociales ne sont pas mortes. Néanmoins, ce mouvement montre aussi ses limites et le long chemin qu’il reste à parcourir. Les dures batailles pour la démocratie et le respect des mandats ont montré que cette exigence n’est jamais acquise, qu’il reste des relents de corporatisme. Effectivement, quasiment pas un mot n’a été prononcé pour les personnels des cuisines de Nantes qui étaient en grève en novembre et décembre. Effectivement, pas un mot sur les conditions des autres personnels de l’Éducation nationale (Atsen). Effectivement, pas un mot sur l’ensemble du personnel périscolaire (accueil, cantine, études, etc.) aux effectifs stables, payés 2 500 FF par mois avec des amplitudes horaires sur une journée de près de 11 heures. La réalité corporatiste qui consiste à nier ou ignorer les conditions de vie d’une personne travaillant dans le même bâtiment est le reflet de l’échec du politique (« nous » vivons encore sur la perte des illusions marxistes sans les avoir remplacées) et donc du rôle strictement ou trop sectoriel du syndicalisme et de la lutte sociale.

Théo
Nantes