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Une École du troisième type

Le jeudi 10 avril 2003.

Lorsque, après l’avoir feuilleté, j’ai acheté le
livre de Bernard Collot [1], je pensais qu’il me
faudrait une bonne semaine pour en venir à
bout. Plus de trois cents pages, un certain
nombre de graphiques avec des flèches dans
tous les sens, pas de photos, une mise en page
austère, etc., ça incite à penser, en effet, qu’on
n’est pas en présence d’un polar et qu’il va falloir s’accrocher aux branches. Ce livre, pourtant, je l’ai lu d’une traite !

Bernard Collot, comme beaucoup, est
entré à l’École normale par hasard (« pour ne
pas être à la charge des parents »). En 1961
(second poste), il s’est retrouvé nommé en
milieu rural (des enfants de 8 à 14 ans, deux
classes, six cours). Passablement désorienté
comme tous les débutants. Avec cependant
l’envie de faire et de bien faire. Mais faire
quoi et comment ? Il s’est mis à chercher. À
aller voir. Et ce fut (encore) le hasard d’une
rencontre avec un instit Freinet, les CMEA [2],
l’USEP [3], etc. Et, à chaque fois, dans la foulée,
l’aventure du tâtonnement, de l’expérimentation. En 1963, c’est la réalisation du premier restaurant d’enfants en milieu rural. En
1964, les premières rencontres USEP pendant
le temps scolaire (« Et qui plus est, autogérées »). En 1965, les premières expériences
d’apprentissage massif (à l’échelle d’un
département) de la natation dans un grand
bassin et la création du premier « réseau
d’écoles rurales ». En 1966, l’ouverture de la
classe aux parents. En 1970, participation au
démarrage « des circuits de correspondance
mutuelle » dans le mouvement Freinet. Puis,
ce fut la ruée sur les photocopies, les magnétophones, les montages diapos, le super 8,
etc., et autres outils à même de faciliter et de
densifier des relations d’échanges de toutes
sortes. À partir de 1985 commençait alors la
conquête de l’Ouest informatique. La mise
sur pied d’un serveur indépendant (Marelle).
La multiplication de l’échange d’informations entre classes. Le bouillonnement, via
l’utilisation du réseau, de projets de toutes
sortes (dont l’incroyable course nationale des
haricots).

Comme on le voit, jusqu’à son départ à la
retraite, en 1996, Bernard Collot n’est pas
resté les deux pieds dans le même sabot de la
routine, du conformisme, du rabâchage ou du
glandisme qui sont le lot commun de tant
d’enseignants. Pendant trente-sept ans, il n’a
cessé de courir !

Mais après quoi ?

Au début, il ne savait pas très bien. Le
hasard (toujours) l’avait plongé, pieds et
poings liés de désarroi, dans le milieu rural de
ses classes uniques (hétérogènes) ; ses interrogations se résumaient à celles d’un artisan
désireux de bien faire son ouvrage, autrement
dit, permettre aux enfants d’apprendre à lire, à
écrire, à compter au rythme du bonheur
d’être. Sur ces bases, il pouvait difficilement ne
pas rencontrer la pédagogie Freinet et les
autres méthodes « actives ». Et (en toute
logique, c’est-à-dire pas complètement par
hasard) il les a rencontrées. En empruntant ici
ou là. De manière ponctuelle. Pragmatique.
Méfiant par rapport aux grands discours.
Ouvert à tout ce qui concrètement pouvait
faire avancer le schmilblick.

Bref, Bernard Collot aurait pu rester ad
vitam aeternam
un de ces trop rares touche-à-tout de l’expérimentation pédagogique, le nez
sur le guidon, condamné à pédaler sans fin
dans le champ clos d’une course orpheline
sinon de sens du moins de stratégie.

Et puis, et puis, il y eut, en 1989, la
fameuse mission Mauget « qui prônait et mettait en route l’éradication des classes uniques
considérées comme… archaïques. Ce qui a
fait sortir une poignée d’enseignants de leur
bois avec qui j’ai créé les Centres de
recherches des petites structures et de la communication ». « Et, j’ai, à partir de cette date,
pris mon bâton de pèlerin pour défendre et
expliciter l’intérêt de l’hétérogénéité, d’école
en école, de congrès en colloque, d’université
en IUFM, de Lisbonne à Moscou. ».

De « simple » artisan à l’horizon
« borné » par l’établi et l’atelier, Bernard
Collot va donc peu à peu, en réaction à l’événement (trois crétins serviles chargés de
dégraisser le mammouth avant l’heure en
orchestrant des regroupements scolaires dans
le seul but de réduire le nombre de postes
d’instits. Trois classes uniques à 14 élèves
impliquant trois postes d’instits tandis que
regroupées en deux classes ça ne fait plus que
deux postes), s’engager sur le chemin de la
militance et de la théorisation.

Bien avant les travaux de Françoise
Œuvrard (1993), d’Alain Mingerat ou le film
Être et avoir, il va, en effet, démontrer que les
résultats obtenus par des classes uniques
étaient supérieurs à ceux des classes de niveau.

Mieux, non content de casser le mythe
d’une école du premier type « qui était celle,
avec ses niveaux homogènes, ses rangées
élèves, un maître maîtrisant emploi du temps
et progressions, des élèves exécutant le plus
exactement possible des consignes », il va également démythifier l’école du second type « qui est celle des méthodes actives où les
élèves y sont moins passifs, où le maître fait
appel à leur motivation, cherche par tous les
moyens à rattacher son enseignement à la réalité, mais où l’enseignant en reste le véritable
acteur », et promouvoir l’école du troisième
type « où c’est la présence des enfants dans un
groupe et dans un environnement réels qui
entraîne les processus d’apprentissages et la
construction des langages et où ce n’est plus
l’enseignant qui déclenche les processus ».

Et c’est, tout naturellement, qu’au cours
de ses dix dernières années d’enseignement, il
en est arrivé « à une école sans horaires, sans
cahiers, sans leçons, sans programme, sans
évaluation, dans un espace occupé en permanence dans sa totalité, ouvert aux enfants et aux adultes, de jour… comme de nuit, en
période scolaire ou pendant les vacances. Une
école publique ordinaire, avec des enfants
ordinaires, des parents ordinaires, une municipalité ordinaire… et un instituteur fonctionnaire ordinaire et conscient de ce qu’on attend de lui, c’est-à-dire responsable. Ce que j’ai
appelé une école de troisième type. Ce qui m’a
conduit aux portes des utopies des Illich (une
société sans école) ou des Serres (la société
pédagogique) ».

Ce livre nous raconte tout cela. Cette aventure pédagogique, éducative et humaine à nulle autre pareille (même les plus libertaires
d’entre les libertaires, et je pense bien sûr à
l’école libertaire Bonaventure [4], n’ont jamais
été aussi loin dans la formulation et la mise en
oeuvre d’une école de la liberté, de l’égalité et
de l’autogestion, faisant corps avec la société
tout entière jusqu’à s’y dissoudre en tant
qu’institution). Et il nous la raconte avec des
mots simples et un coeur gros comme ça.

On l’aura donc compris, ce livre est un
véritable événement car il ouvre des perspectives théoriques et pratiques à tous ceux et toutes celles qui pensent que la meilleure
façon de lutter contre le démantèlement actuel
du service public d’enseignement c’est encore
d’être capable de proposer mieux que ce qui
existe.

Dans le petit mot qu’il nous a envoyé à
Thyde Rosell et à moi-même, à l’occasion de
la sortie de son livre, Bernard Collot écrivait :
« Une école libertaire ne relèverait même
pas de l’idéologie mais tout simplement du
biologique. »

Merci à Bernard Collot de s’être attaché à
démontrer cette évidence.

Jean-Marc Raynaud


[1Bernard Collot, Une École du troisième type ou « la
pédagogie de la Mouche »
, L’Harmattan, 330 p.,
26,50 euros. Rajoutez 10 % pour le port. Disponible
à Publico.

[2Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives.

[3Union sportive de l’enseignement primaire prônant une conception du sport sans compétition.

[4Bonaventure, une école libertaire, éditions du Monde libertaire, 180 p., 9,15 euros.