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Marées noires

…à perte de vue
Le jeudi 17 avril 2003.

119 000 tonnes — Torrey Canyon 1967, Land’s End (Grande Bretagne).
80 000 tonnes — Othello 1970, Tralhavet (Suède). 115000 tonnes — Sea Star 1972, Golfe d’Oman.
100000 tonnes — Urquila 1976, La Corogne (Espagne). 99000 tonnes — Hawailian Patriot 1977, Pacifique. 223 000 tonnes — Amoco Cadiz 1978, Bretagne.
60 000 tonnes — Cabo Tamar 1978, Chili. 47 000 tonne — Andros Patria 1978, Cap Finistère (Espagne).
41 000 tonnes — Gino 1979, Ouessant.
276 000 tonnes — Atlantic Express, Trinidad et Tobago (Caraïbe). 102 000 tonnes — Irenes Serenade 1980, Navarin (Grèce). 8000 tonnes — Tonio 1980, Bretagne. 18000 tonnes — Cavi Cambanos 1981, Corse.
250000 tonnes — Cazstillo de
Beliver 1983, Le Cap (Afrique du Sud). 51 000 tonnes — Assimi 1984, Oman. 40000 tonnes — Exxon Valdez 1989, Alaska.
70000 tonnes — Kharg 5, 1989 Safi (Maroc). 25000 tonnes — Aragon 1989, Madère. 40 000 tonnes — Haven 1991, Gènes (Italie). 80000 tonnes — Aegian Sea 1992, La Corogne (Espagne).
60000 tonnes — Katina, Maputo (Mozambique). 84000 tonnes — Braer 1993, Îles Shetlands.
16000 tonnes — Seki 1994, golfe d’Oman. 70000 tonnes — Sea Empress 1996, Milford Haven (Pays de Galles). 4400 tonnes — Nakhodka 1997, mer du Japon.
53000 tonnes — San Jorge 1997, Uruguay.
13 400 tonnes — Diamond Grace 1997, Tokyo.
26 000 tonnes — Orapin et Evoikos 1997, détroit de Singapour. 12 décembre 1999, naufrage de l’Erika : 20 000 tonnes ; 19 novembre 2002, le Prestige se brise en deux au large de la Galice avec 70000 tonnes de fuel. Reparler des marées noires : cela devient la chronique qu’il faut réécrire et qui pourrait de nouveau resservir dans quelques mois.

Les faits sont là, et une fois de
plus intraitables ! La consommation de pétrole augmentant sans
cesse, les lieux de production
étant souvent éloignés des lieux
de consommation, il fallait donc
transporter cet or noir. Le transport de cette matière première
suit donc une courbe croissante.
Comme la recherche de profit est
le seul objectif des compagnies
pétrolières, l’âge des bateaux est
au plus haut et leur niveau de
sécurité au plus bas : 70 % des
super pétroliers ont été construits
entre 1973 et 1977. Un bateau
construit à cette époque était
amorti en 5 ans.Alors après 15 ou
20 ans de service, pour toujours
davantage de profit, la majorité
des navires fut revendue dans le
tiers monde et réemployée après
avoir été « retapée ». Nantis de
certificats de navigation délivrés
par des organismes des plus
sérieux, ils ont continué leur carrière pendant que la corrosion
progressait dans leur structure…
C’est ainsi que grâce aux bateaux
poubelles sur-amortis, le coût du
transport est descendu très bas.

Après chaque marée noire on
a le droit aux même discours. Et le
gouvernement Raffarin a retenu
les leçons de l’histoire afin de ne
pas reproduire les erreurs tactiques deVoynet. Même Chirac est
monté au créneau en prenant des
mesures (très partielles et sur une
courte durée) d’exclusion sur le
territoire maritime de bateaux
poubelles. Mais les commandes
de bateaux neufs n’augmentent
pas particulièrement.

Actuellement on peut donc affirmer que vu leur âge 70 % des super pétroliers sont dangereux et devraient être remplacés.Tout ceci est parfaitement su par les « acteurs » du monde du pétrole. Ainsi lorsque Total a affrété l’Erika, c était en parfaite connaissance de cause.

Sur ces bateaux poubelles travaillent des équipages de pays du
tiers monde. Pour ce faire les États
associés aux pétroliers ont créé les
pavillons de complaisance afin
d’exploiter « légalement » cette
main d’œuvre bon marché. Les
salaires sont divisés par 4 sans protection sociale ni congés. Ces
équipages de la misère sont
recrutés par des « marchands
d’hommes », dont on nomme le
travail « ship management ». Petit
a petit les compagnies pétrolières
qui possédaient leur propre flotte
se déchargèrent de cette besogne
au profit de sous traitants que sont
les « traders », les « courtiers » et
autres intermédiaires. De véritables nébuleuses dans lesquelles il
est bien difficile de se retrouver.
Ce qui explique qu’en cas d’accident le responsable soit difficile
juridiquement a nommer tant que
l’on n’aura pas envisagé la notion
de responsabilité collective. Le
capitalisme dans toute sa splendeur ! Mais le pavillon de complaisance comporte d’autres intérêts
et avantages car s’il permet de
contourner les règles sociales, ils
permet aussi de contourner les
règles fiscales. Pavillon de complaisance rime avec paradis fiscal.
Le lobby du pétrole comme le
lobby nucléaire est basé sur le
mensonge. L’hypocrisie et l’opacité : l’actualité avec l’affaire Elf est
là pour nous le rappeler.

Les sociétés pétrolières se
sont développées, et ont développé ces méthodes avec la collaboration et la complicité des États
producteurs et des États consommateurs. Les États occidentaux ont
toute leur responsabilité dans
cette situation.

Et évitons de tomber dans le
piège de l’émotion du lendemain
d’une marée noire car les marées
noires sont permanentes puisque
les nettoyages des soutes des
pétroliers appelés dégazage représentent deux millions de tonnes
de pétrole dans la mer par an.
Rien qu’en Méditerranée, c’est
l’équivalent d’une marée noire de l’Erika par semaine…

D’après les « spécialistes » nous avons pour 40 à 50 ans de réserves de pétrole. Le bon sens voudrait que l’on pense un avenir avec de moins en moins de pétrole et de plus en plus d’énergies renouvelables (ENR). Côté économies d’énergie c’est plutôt raté puisque l’on consomme toujours plus de pétrole… Comment peut-on encore installer des chauffages au fuel sans au moins y adjoindre une énergie renouvelable ? Car il faudra bien les utiliser un jour ces ENR… Le vent, le soleil sont gratuits ainsi que les déchets fermentescibles qui permettent de produire du méthane. Les moteurs thermiques peuvent fonctionner au gaz de bois. Ces fameux gazogènes ont fait de sacrés progrès depuis 1940 et sont parfaitement au point ! Les solutions alternatives ne manquent pas.

Le problème c’est que ces alternatives ne représentent pas un marché potentiel : elles ne permettent pas de marges énormes, voire elles peuvent être gratuites : une notion détestée et rejetée par le capitalisme.

Alors autant continuer, faire du profit, entériner les risques écologiques (c’est à dire les intégrer dans les prévisions financières et les assurer) : le capitalisme est un système économique morbide.

Un marin anonyme