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Retraites

L’Arnaque des fonds de pension

Le jeudi 9 mars 2000.

Ces dernier temps, des signes viennent confirmer que pour arriver à la création de fonds de pension, les puissances financières continuent de faire pression. Chirac a pris le prétexte de ce début d’année pour rappeler une nouvelle fois et sans finesse au gouvernement Jospin, l’urgente nécessité de la réforme des retraites.

Déclarant aussi le caractère indispensable d’une réforme, la CGT et la CFDT ont imaginé d’envoyer en éclaireurs un de leur secrétaire national, (J.-C. Le Digou pour la CGT et J.-M. Toulisse pour la CFDT) qui ont été chargé de bidouiller en commun un livre intitulé L’Avenir des retraites. Seul les naïfs s’étonneront de l’évolution de la CGT qui se recentre de plus en plus. Pour ne pas effrayer les militants de la centrale, le responsable CGT défend des positions différentes de la CFDT. Il ne peut pas encore se permettre de s’aligner sur les représentants du capital financier comme le fait la CFDT.

J.-M. Toulisse déclare dans le mensuel CFDT Magazine : « [Ce] livre fait la démonstration que le gouvernement ne peut pas faire l’économie d’une réforme » ? La CFDT estime qu’on a assez tardé ? Bref ça presse, ça presse, ils ne peuvent plus attendre, au sommet de la CFDT. Même s’il reste encore à la base des adhérents un peu naïfs pour lesquels il faut continuer de dire et d’écrire que la CFDT est toujours « attachée à la retraite par répartition ». Ce livre a pour but de conditionner l’opinion publique, en la préparant à accepter le projet gouvernemental, déjà arrêté, d’allonger la durée des cotisations et, surtout d’introduire un système de fonds de pension en principe en complément de l’actuel système par répartition, mais en fait destiné à se substituer le plus rapidement à lui.

Une vaste offensive mondiale

Cette arnaque des fonds de pension fait partie d’une vaste offensive mondiale ultra-libérale que J. Nikonoff, ancien représentant de la caisse des dépôts aux États-Unis a baptisé dans son ouvrage « la comédie des fonds de pension » aux éditions Arléa, de « révolution blanche » menée depuis 1994 par la Banque Mondiale, le FMI et L’OCDE. Toutes ces instances financières sous le contrôle du patronat international et avec la complicité des États et des parlements démocratiques, veulent transférer l’argent des retraites vers des circuits financiers. Elles utilisent l’augmentation démographique des individus de plus de 60 ans, afin d’affoler les populations. Dans un but financier, le vieillissement et ses conséquences sont présentées négativement. Paradoxalement, les ultra-libéraux réussissent à transformer la joie et le formidable espoir de vivre, dans notre civilisation, plus longtemps et en bonne santé en une malédiction et une menace. Pourtant, il est faux de prétendre que la société française n’a plus, dès aujourd’hui, les moyens de financer l’actuel système de retraite par répartition. En effet, nous vivons dans une société de plus en plus riche qui d’année en année, accumule les moyens de produire de plus en plus. Actuellement on produit, en France, deux fois plus de richesse qu’il y a trente ans. Ce qui est en cause, ce n’est pas la capacité de produire de la richesse, mais sa répartition qui est de plus en plus inégale. Si les recettes des différentes caisses de retraite font aujourd’hui défaut, c’est aussi à cause du chômage et de la précarité. Mais au nom de la compétition mondiale, les ultra-libéraux veulent revenir sur les acquis sociaux des sus-cités les plus avancées, qui les pénalisent commercialement face aux pays pauvres, d’où réduire les dépenses publiques, baisser les prélèvements obligatoires, les charges patronales, les retraites dont le coût est insoutenable.

Un enjeu de société essentiel

Les retraites sont un enjeu de société essentiel, une question politique et sociale et absolument pas une question économique, aussi les experts ne devraient intervenir qu’a la marge. Ainsi le PIB français va doubler d’ici 2040. Il est donc parfaitement possible dans le cadre de notre société d’assurer, sans aucun recul social, le financement des retraites. Il est faux de prétendre que l’actuel système de répartition est menacé par le soi-disant choc démographique constitué par le vieillissement de la population. Il ne faut pas oublier que les jeunes comme les vieux sont à la charge des actifs. Or si les démographes prévoient l’augmentation des seconds. Ils prévoient aussi la diminution des premiers. De plus la productivité du travail ne cesse de s’accroître. Si sa croissance se poursuit au rythme moyen du siècle écoulé (2 % par an), dans une quarantaine d’années, un actif employé produira, à durée de travail égale, 2,2 fois plus qu’actuellement, largement de quoi compenser, à taux de cotisation inchangés, les pensions de retraite.

Dans un but purement budgétaire, le seul remède proposé par les ultra-libéraux, est la capitalisation avec les fonds de pension. Les experts, les média, nos politiciens de gauche et de droite, nos syndicats, s’y rangent massivement. Pourtant il est faux de prétendre que chacun va pouvoir, grâce à l’institution de fonds de pension, se constituer une épargne pour la retraite. En effet, en cotisant à un fonds de pension, on n’accumule pas une épargne ou un « capital » mais tout juste des droits (sous forme de titre de propriété) sur la richesse qui sera produite au moment où l’on partira à la retraite. Exactement ce qui se passe déjà aujourd’hui avec le système de répartition. À cette différence prés, et elle est de taille, que dans le système de répartition, ces droits sont garantis par la loi, alors que, dans le système par capitalisation, il n’est garanti que ? par la prospérité du capital financier, avec le risque inhérent à ce type de capital, de nature spéculative. Passer d’un système de répartition à un système de capitalisation, c’est lâcher la proie pour l’ombre, c’est jouer sa retraite en Bourse !

La mise à mort du principe d’entraide

Il est faux de prétendre que les fonds de pension permettront de garantir le dynamisme et l’autonomie des entreprises françaises, et par conséquent l’emploi. En effet, en entrant dans le capital des entreprises, les fonds de pension les soumettent à des contraintes de rentabilité financière qui sont désastreuses pour l’emploi. C’est sous la pression des fonds de pension américains, propriétaires de 30 % du capital de Renault, que la direction de cette entreprise a fermé le site de Vilvorde. Décision saluée par un bon de 17 % de l’action Renault sur la Bourse de Paris ! Uniquement soucieux de rentabiliser leurs investissements financiers, les fonds de pension sont les plus disposés à se prêter aux opérations de fusion (OPA, etc.) qui se développent sur le marché financier. Ils sont aussi les premiers à vendre leurs titres dès que la rentabilité de ces derniers n’est plus assurée ou qu’ils trouvent mieux ailleurs. Ainsi, détourner chaque année vers les fonds de pension quelques centaines de milliards de francs est le meilleur moyen pour étendre et aggraver l’emprise du capital financier sur l’économie réelle. C’est ce capital essentiellement prédateur, qui serait en définitive le seul bénéficiaire de la création de fonds de pension.

Selon J. Nikonoff, ces fonds ne servent strictement à rien pour résoudre le problème démographique. Les retraites à un moment donné, en 2040 par exemple, seront toujours dépendantes des richesses produites par les actifs. Cela a toujours été le cas que se soit en répartition ou en capitalisation. De plus, ces fonds sont dangereux, ils alimentent la bulle financière qui provoque les crises. Ils dominent la Bourse et c’est la compétition entre eux qui fait monter les prix à un niveau spéculatif qui n’a rien en commun avec la richesse produite. Ces fonds énormes tentent de diriger les entreprises vers les résultats financiers en oubliant produits, clients et salariés. Ils sont injustes et ne profitent qu’aux riches grâce à des avantages fiscaux exorbitants. Dans aucun pays ils ne couvrent l’ensemble des besoins en retraite, car cela nécessiterait une somme investie impossible.

Le salarié est toujours le cochon de payeur

Ceux qui non pas les moyens d’épargner seront jetés aux oubliettes. Ces fonds sont la négation de toute solidarité. Pris à titre personnel ils ne donnent aucune couverture au conjoint survivant. Un bon système de retraite doit garantir un montant de retraite ; or les fonds de pension sont de plus en plus à cotisations définies, le montant des cotisations est fixé mais ne garantit aucune retraite, c’est un simple placement financier. Le salarié subira tous les risques de la Bourse. Sa retraite dépendra du seul montant des actions et personne ne peut prédire ce quelles vaudront en 2040. Nikonoff récuse absolument les prétentions des fonds de pension à offrir un rendement financier supérieur à la répartition qui est de 6 % par an. Le rendement passé ne garantit en rien un rendement futur, c’est un leurre.

Face aux puissants fonds anglo-saxons, les fonds de pension à la française ne seraient qu’une goutte d’eau, 1 % de la Bourse s’ils sont investis en actions. Ils ne serviront à rien. Ils existent déjà (800 milliards), mais sont un échec. Prefon (514’800 cotisants sur 5 millions possible), loi Madelin (220’000 sur 2 millions). Les ultra-libéraux demandent d’exorbitants avantages fiscaux pour les vendre, avantages qui seraient pris sur l’ensemble des habitants pour aider les plus riches. S’ils remplacent l’assurance-vie, très importante épargne mais qui n’est pas investie en actions, ce ne sera pas pas une nouvelle épargne. Elle ira simplement vers la proposition la plus avantageuse fiscalement, et s’ils s’y ajoutent, cela freinera la consommation. Si nos gouvernants s’intéressent aux fonds de pension c’est pour répondre aux critères financiers exigés par l’Euro. Ils veulent faire disparaître les prélèvements obligatoires et les transformer, en cotisations « librement consenties », qui ont l’énorme avantage de ne plus figurer dans les comptes de l’État mais que le salarié devra impérativement payer s’il veut une retraite.

Le fonds de pension est la plus belle escroquerie de ce début de siècle !

Michal Sahuc