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éditorial du nº 1254

Quand la banlieue descendra sur la ville
Le jeudi 18 octobre 2001.

En tout cas qu’elle y reste. Qu’elle y reste et qu’elle nous lâche. Pour caricaturer un peu, telle est la substance du discours dominant entendu après l’envahissement du sol sacré du Grand Stade lors d’un mémorable match de foot opposant la France à l’Algérie. Nous savons bien que le nationalisme porte en lui le germe de la guerre. Nous savons aussi que les Arabes, et les Algériens en particulier, ont toujours été nos bêtes à chagrin ; nous savons que l’humiliation, la condescendance, la pitié sont les vecteurs de sursauts d’orgueil, alors pourquoi s’étonner ? Pourquoi geindre que la fête ait été gâchée, qu’ils ne s’agissaient que de quelques voyous mal élevés qui ont souillé la pelouse, notre symbole, que le match était à hauts risques et qu’on avait bien été prévenus. Pourquoi se lamenter que l’intégration a du plomb dans l’aile. Pourquoi s’offusquer que Ben Laden est en train de devenir un héros parmi ces populations plus tout à fait arabes et pas encore tout à fait françaises.

On a assisté ce soir-là à un épiphénomène qui masque en fait une réalité beaucoup plus importante. Il s’agit bien là du refus légitime, exception faite d’un côté provocateur, à se conformer à notre modèle. À refuser en bloc toute tentative de notre modèle social d’accorder suffisamment de crédit à quelques stars du football et à refuser par le mépris d’accorder la moindre importance, la moindre réponse acceptable aux jeunes générations beurs en quête de leur identité, et qui plus est, électrisée par un islam revigoré. Intégration ici, rejet et mépris là-bas, strass et paillettes contre banlieues pourries et RMI. Les dés sont d’ores et déjà pipés. On sait par avance qui seront les plus nombreux, qui seront les déchets sociaux et pourquoi. Amusons-nous à compter le nombre d’insultes réservées aux Arabes : c’est un jeu très drôle et plein de finesse ; si, si, essayez… On aura alors une vague idée de la haine qui s’installe depuis des années dans les cages en béton.

La solution n’est certainement pas dans un développement séparé qu’en d’autre lieu on avait appelé apartheid, certainement pas non plus dans une intégration synonyme d’acculturation et de lissage hégémonique du dominant sur le dominé. Le déracinement de leurs aînés n’a jamais été un libre choix. On n’émigre en masse que toujours poussé par la misère. Et c’est bien cette misère-là et son corollaire, le racisme, que nous devons combattre.