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On tue dans les prisons

janvier 1955.

On tue dans les prisons. Naturellement, on tue dans les formes car, sans doute, ce n’est pas tuer que de laisser un homme, avec son slip et ses chaussettes pour tous vêtements, dans une cellule glaciale ; ce n’est pas tuer, pour un docteur, que de se refuser à reconnaître un malade qui sollicite un examen médical ; ce n’est pas tuer que de faire subir de telles tortures aux emprisonnés qu’ils ne quittent la prison que pour le sanatorium ou l’asile.

Mais, au fait, quel est leur crime ? Quels villages ont-ils incendiés ? Quelles femmes ont-ils violées ? Quels êtres humains ont-ils supprimés ?

Eh bien ! non seulement ils n’ont commis aucun de ces crimes mais encore ils ont refusé de jamais les commettre, et c’est là qu’est le leur.

Ils ont refusé, sous quelques prétexte que ce soit, sous quelques égide que ce soit, de porter, sous les plis d’un drapeau, la mort et la désolation.

C’est le cas de Montanari, dont la haute stature et les quatre-vingt douze kilos ne livrèrent qu’un spectre à l’hôpital pour lequel il quittait la prison. Aujourd’hui réformé depuis 1952 et, donc, libéré des prisons où on l’a rendu fou et tuberculeux bilatéral, il ne le sera jamais, hélas ! des hôpitaux.

C’est le cas d’un autre objecteur qui, bien que réformé, ne sera libéré qu’à l’expiration de sa peine, fin février. Il est aujourd’hui à l’hôpital avec 40 degrés de fièvre et souffrant de rhumatismes aigus.

C’est la cas de bien d’autres dont je pourrais allonger cette liste longue et douloureuse.

Et Eiselé qui, lui aussi, a payé de souffrances sa croyance à quelque chose de meilleur, proposant que les objecteurs soient utilisés à la reconstruction d’Orléansville, et qui pouvait écrire :

« Certains, dont moi-même, sont détenus depuis plus de cinq ans. C’est mon état de santé actuel, affecté par la détention, qui me maintient en liberté provisoire. Le mois prochain, je dois me présenter à la porte de la caserne. »

« Ne serait-il pas préférable de nous employer à des fins utilitaires plutôt qu’à une détention inactive, coûteuse pour la société, accablante pour notre état physique, puisque la porte de la prison ne s’ouvre que pour celle du sanatorium ? »

Cela aura-t-il une fin ?

Jusqu’à quand verra-t-on un tribunal militaire de prononcer selon sa digestion ou son bon plaisir et porter des condamnations toujours renouvelables pour un même fait au mépris de toutes les justices (avec ou sans majuscules) ?

Jusqu’à quand verra-t-on les élus répondre tous les quatre ans, lors des réunions électorales, q’ils sont en principe, et sous certaines réserves, partisans d’un statut de l’objection de conscience, quitte à le laisser dormir dans les cartons ?

Jusqu’à quand verra-t-on sévir, dans les prisons de Metz, l’incompétence et l’hostilité d’un certain docteur Licourt qui ne sait pas ou ne veut pas déceler la tuberculose ?

Nous qui savons que rien ne s’obtient gratuitement, que les maigres améliorations qui se sont trouvées codifiées au cours des âges ne l’ont été que sous la pression de la conscience populaire, nous nous adressons à tous ceux qui n’attendent pas une timbale ou une sinécure des parades électorales et de leurs suites, à tous ceux chez qui les mots bonté et justice trouvent encore un écho, pour qu’ils élèvent une protestation assez haute, assez véhémentes, assez large, pour ne plus permettre qu’on emprisonne et qu’on tue des innocents.

Maurice Laisant