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La Déraison du plus fort

Le jeudi 1er mai 2003.

La déraison du plus fort est toujours la meilleure : le droit n’est pas juste, ni la justice équitable. On le saurait sinon ! Chacun constate à l’envi la double loi sadienne qui mène le monde : prospérités du vice et malheurs de la vertu… Le droit procède moins de la revanche des faibles sur les forts — version nietzschénne — que de la domination pérennisée des puissants sur les misérables — version La Fontaine et Marx réunis. Sauf contorsions idéologiques, on ne sort pas de cette évidence.

Chaque époque suppose la domination d’une civilisation : dire le droit procède de ses attributs régaliens. En fonction de ses seuls intérêts à être, prospérer, vivre et survivre, elle fabrique des lois, édicte des formules, décide du juste et de l’injuste, pose le bien et le mal, établit la norme et contraint ce qui résiste à rentrer dans la Machine juridique, éthique et métaphysique fabriquée pour son propre usage.

Évidemment, elle argue d’idéaux sublimes : la liberté des citoyens, l’égalité des sujets, la fraternité des hommes, la justice sociale et autres fictions ronflantes.

En fait, la civilisation qui fabrique l’époque vise la maintenance de ce qui la fait être : la brutalité des prédateurs, la violence des décideurs, la puissance des prescripteurs. Le bien de la nation ?

L’intérêt du peuple ? La prospérité de l’État ? La sécurité des citoyens ? La grandeur du pays ? La souveraineté républicaine ? Le principe démocratique ?

Laissez-moi rire… Le droit sert les puissants flanqués par les marchands, protégés par la soldatesque, appuyés sur la police, soutenus par les banquiers, légitimé par les institutions. L’exemple des États-Unis qui, au nom de Dieu et du Bien, méprisent souverainement le droit international, le droit naturel et le droit des gens — excusez du peu — montre malheureusement la validité de mes sinistres hypothèses. Les résolutions d’un organisme international ? Ils s’en moquent… Les inspections effectuées au nom du droit par des juges impartiaux ? Peu leur importe…

Les votes démocratiques de nations souverainement représentées ? Écartés d’un revers de la main… Les consultations diplomatiques, les discussions politiques, les débats contradictoires, les confrontations démocratiques dans le cadre de l’Onu ? Peanuts…

Lançons plutôt l’Armada en direction des populations pendant que le dictateur s’installe dans son trou à rat, un bunker cent mètres sous terre où il attendra avec ses affidés que le feu rase sa nation. Le droit sert juste à mater les petits, réprimer les faibles, loger les sans-grades. Le Code pénal, le Code civil, les tribunaux ? Tout justes bons à envoyer les voleurs de poules en prison, à mettre derrière les barreaux les amateurs de pétards, à coffrer les prostituées habillées trop court, à soumettre les élèves qui insultent un professeur dans un collège, à dresser les ados réunis dans les cages d’immeubles, à punir les braqueurs de scooters. Dans ces seuls cas, la Loi est grande, le Droit puissant, la Justice reine.

Pour les puissants ? Pas de droit, autant dire tous les droits. Détourner l’argent public, abuser des biens sociaux, s’enrichir avec l’argent du contribuable, se bâfrer ou entretenir sa famille naturelle grâce à l’impôt public, s’offrir une collection de statuettes anciennes ou de chaussures faussement orthopédiques, spolier les mutuelles étudiantes ou les offices locataires de HLM pour payer en liquide ses voyages et ses vacances, etc. Et le premier qui insulte le drapeau français, la loi ledit, le droit confirme — au tribunal…

Michel Onfray