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éditorial du nº 86

janvier 1963.

Lorsqu’en 1895 Louise Michel et Sébastien Faure fondèrent Le Libertaire, ils pouvaient croire à la proximité de la révolution. Les militants actuels pensent que le travail de préparation de cette révolution continuera encore longtemps à les absorber.

On a assisté à l’échec du communisme marxiste, échec prévisible selon Bakounine, dans les pays où il s’est installé et à l’évolution vers la sclérose et le réformisme des partis communistes dans les pays capitalistes, et finalement l’existence des citadelles communistes constitue un facteur de démoralisation plus que d’espoir. Le capitalisme lui ne survit qu’en se socialisant de façon suffisante pour que les masses ne voient pas ce qu’elles gagneraient à tomber sous le joug des communistes marxistes. Le résultat en est une grande misère morale pour ceux qui ont échappé à la misère matérielle et la persistance de la misère matérielle pour la majorité des humains quel que soit d’ailleurs le régime sous lequel ils vivent. Mais les aspirations à la vie continuent qui débouchent et déboucheront de plus en plus sur l’anarchisme.

En effet, après qu’il n’eut pendant un certain temps plus guère servi de référence à une hypothèse philosophique ou politico-sociale, l’anarchisme peut enfin offrir aux militants qui ont maintenu le mouvement, l’immense réconfort de retrouver une audience vivante.

Reprenant son développement, l’anarchisme fait l’effort nécessaire pour s’exprimer en termes modernes, n’hésitant pas à s’enrichir de certains progrès accomplis au dehors du mouvement anarchiste, dans le domaine de la pensée ou de la réalisation scientifique, philosophique ou artistique, dont la potentialité est certaine, mais qui, dans le contexte social actuel, constituent le plus souvent soit un asservissement supplémentaire, soit un divertissement dérisoire.
La nouvelle présentation du Monde libertaire s’inscrit dans cet effort de modernisation et, si elle ne constitue pas par elle-même une grande révolution, du moins ne peut-elle que mettre en valeur le sens et la qualité des articles d’études et de combat et favoriser une plus grande diffusion.

La Fédération anarchiste vous est présentée dans un article de ce journal. Vous y apprendrez qu’il y existe différentes tendances comme des courants idéologiques sinon opposés du moins divergents : l’unité idéologique de l’anarchisme est foncière et tous nos efforts tendront à ce que soit opposée sa richesse à la sécheresse du marxisme et non plus la cohérence marxiste à l’éclectisme anarchiste, si bien que ces tendances dont aucune aujourd’hui ne saurait constituer indépendamment un concept suffisant, soient d’excellentes spécialisations pour une plus grande efficacité de la recherche et du combat sur un point donné, et que l’organisation de certaines tendances ne puisse que rendre ce travail plus efficient. Loin de s’étouffer et de se neutraliser en une impuissance statique les tendances apparaissent actuellement comme le lieu d’élaboration des techniques de lutte et d’organisation sociale en vue de créer les conditions nécessaires à la vie pleine de l’individu.

Car c’est là que convergent tous les courants, vers cet individu passionné de sa propre liberté mais trouvant, avec Bakounine, dans la liberté des autres non pas une limite mais une extension de la sienne. Cette philosophie individualiste constitue la force et la chance de l’anarchisme vis à vis des religions et des doctrines totalitaires comme des fragiles civilisations de masses, capitalistes ou marxistes, qui ne peuvent précisément qu’engendrer la révolte de l’individu.

Demeuré le seul survivant fidèle de la presse révolutionnaire qui fit honneur au vieux mouvement ouvrier français, notre journal est le témoin de la vitalité du courant libertaire, dont la pensée audacieuse, aussi éloignée d’un humanitarisme moralisateur que d’un socialisme policier, ne perd pas de vue que la liberté et la vie réelle ne sont vraiment possible que dans des conditions économiques et politiques si opposées aux conditions actuelles, qu’elles garantissent sa volonté révolutionnaire.