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Lois sécuritaires

Droit à l’avortement retour à « l’an moins zéro »

Le jeudi 24 avril 2003.

Comme on pouvait s’y attendre les responsables politiques ne lésinent pas à la tâche. Entre autres mesures réactionnaires, l’Assemblée, dans le cadre du projet de loi contre l’insécurité routière, a adopté, il y a peu, un amendement qui pourrait remettre en question le droit à l’avortement. Un droit pourtant essentiel et durement acquis par la lutte.



Depuis le retour de la droite et des « lobbies catho-intégristes » l’an passé, la logique sécuritaire cartonne et fait feu de tous bois. Après s’être attaquée à diverses minorités (sans-papiers, prostitué(e)s, jeunes, gens du voyage, séropositif(ve)s, demandeurs d’asile, mendiants, raveurs, etc.), celle-ci vise plus de trente ans de lutte des femmes pour obtenir un droit à l’avortement qui aujourd’hui, une fois de plus, est remis en question.

Pire, un amendement grotesque vient d’être adopté le 20 mars 2003, par l’Assemblée. La gôche s’y étant symboliquement opposée (quand il ne reste plus que le symbole !). Mais n’allons pas trop vite et prenons le temps d’examiner les tenants et aboutissants de cet amendement (même si cela demande un peu de concentration, désolé, mais vu l’ampleur et les conséquences du sujet).

L’amendement en question se situe « dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière ». Très bien, jusque-là, rien à dire. « Afin de protéger la femme enceinte, en cas d’accident », toujours rien à dire. Pourtant, ce texte apparaît comme un peu redondant, puisque l’article 223.10 du Code pénal existe déjà et prévoit que « l’interruption de grossesse, sans le consentement de l’intéressée est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Or, J.-P. Garraud, lors d’une séance le 20 mars 2003 à l’Assemblée, affirme qu’il existe un « vide juridique » et déclare que cette disposition ne tient pas compte d’« une faute caractérisée ». Pourtant, M. Hunault insiste sur le fait que s’il vise le même objectif, son propre amendement consiste à protéger, non la mère, mais l’enfant lui-même, ce qui permet d’aborder le problème de « non-assistance à personne en danger ». Il se situe ainsi, dans la ligne d’un arrêté du 19 juillet 2002, dont la jurisprudence précise la portée (hors sécurité routière) et autorise l’inscription, dans le livret de famille de la mention d’« enfant mort-né ». Mais, pour être bref, et après que d’autres beaux parlementaires eurent rappelé, en vain, que cet amendement n’avait pas sa place dans un texte relatif à la sécurité routière, J.-P. Garraud réfute cette analyse. Il estime, en effet, qu’il n’est pas possible d’esquiver le débat. Il indique alors que son amendement n’écarte pas le cas d’une interruption « involontaire » de grossesse, due à l’homicide « involontaire » de la mère, etc. Et la commission adopte cette nuit-là, l’amendement, rejetant, de fait, celui de M. Hunault.

Résumons-nous : sous couvert d’un projet de loi contre la violence routière, cet amendement sanctionne la « mort d’un fœtus ». Pour la première fois dans l’histoire moderne française, ce dernier obtient donc, de droit, le statut juridique de « personne ». Or, donner à l’embryon un statut juridique remet forcément en cause, à court, moyen, ou plus long terme, le droit à l’avortement. Et il s’agit bien de l’objectif poursuivi depuis de nombreuses années par les professeurs Lejeune et Xavier Dorr, entre autres réacs, relayés par une certaine première dame de France, bien chevillée à l’Opus Dei, au pape et à tous ses servants.

Et il n’est pas nécessaire d’être sorcier ou sorcière anarchistes pour deviner que ce nouveau statut donne à l’embryon des droits juridiques. Ceux-ci devant permettre, très vite, de remettre en question les droits obtenus ; et il n’est pas vain de le rappeler, après plus de trente ans de luttes acharnées des femmes et de leurs alliés, afin qu’elles disposent librement de leur corps.

Encore une loi qui cache une intention bien programmée et pernicieuse. En effet, sous le couvert préventif de lutter contre la violence routière, il s’agit bien d’obtenir, pour les lobbies catho-intégristes, la mort du droit à l’avortement.

Eh bien, je crois que nous n’avons plus le choix : nos droits nous imposent, une fois de plus, de nous retrouver toutes et tous dans la rue !

Patrick Schindler


Pour plus d’informations : consulter les sites Internet de la Cadac et de la LDH.