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Réflexions sur le procès des généraux

juillet 1961.

Les événements vont à une telle allure et les coups de théâtre à un tel rythme qu’il est bien difficile à nos contemporains d’en mesurer l’énormité et d’analyser avec quelque sérieux les bouleversements qu’ils engendrent.



C’est ainsi qu’un observateur scrupuleux, suivant au pas à pas l’évolution des institutions militaires depuis la dernière guerre, pourrait d’écrier, paraphrasant Bossuet : « L’armée se meurt ! L’armée est morte ! »

Non qu’il se nourrirait du candide espoir de voir disparaitre ces institutions meurtrières en qui de tous temps certains hommes ont voulu voir la représentation du courage et de l’honneur. Dans un monde surarmé et qui rêve de surarmer encore, ce serait dépasser les bornes de la naïveté. Mais il pourrait constater que chaque jour les fondements de cette armée d’effritent, s’amenuisent, sont foulés aux pieds. Et chose amusante entre toutes, ces principes mêmes sont dénies par la caste militaire qui en faisait sa raison d’être.

Cela remonte au procès d’Oradour, au cours de laquelle un soldat se retranchant derrière l’ordre reçu, le lieutenant-colonel Gardon répliquait : « Vous n’aviez qu’à désobéir. » C’était soulever le problème de l’armée elle-même, considérée jusque là comme la force aveugle et stupide, servile à qui la nourrit et la paie, c’était remettre en question la fameuse exécution « sans discussion ni murmure » à toutes les injonctions reçues quelles qu’elles soient, c’était réveiller la conscience dans un milieu dont elle est bannie et instruire le procès du crime d’obéissance. Le lieutenant-colonel Gardon a-t-il bien compris ce jour-là qu’il justifiait l’objection de conscience, qu’il absolvait la désertion, qu’il revendiquait l’insoumission ?

Aujourd’hui, les généraux, qui de l’autre côté de la Méditerranée ont occupé Alger quelques quarante-huit heures, viennent de porter un nouveau coup à l’armée et à ses principes. « Nous n’étions pas d’accord avec la politique gouvernementale » disent-ils pour leur défense. Parfait ! Mais le contingent qu’on envoie depuis le ministère Guy Mollet jusqu’à nos jours pacifier l’Algérie avec des mitraillettes et des chambres de torture, est-il d’accord avec les décisions de l’État et l’a-t-on consulté sur ce point ? Les Challe, Zeller et consorts songent-ils que demain au nom des mêmes raisons qu’ils invoquent, l’armée dans son entier pourrait lever la crosse et reprendre le chemin du bercail.

Il est vrai que selon Machiavel la loi du prince n’est pas celle du peuple et que ce qui coute quelques vagues années de forteresse à un chef d’armée, vaudrait à un quelconque appelé le jugment sommaire et le peloton d’exécution.

Il est vrai que la responsabilité diminue avec les grades et que, dans la hiérarchie, les droits augmentent dans la mesure où les devoirs s’amenuisent.

Il est vrai, enfin, que tous les obscurs seconde classe, conscients du verdict à leur endroit des juges si pitoyables par ailleurs aux puissants de ce monde, ne risquent pas de faire valoir leur opinion d’homme sur la politique du gouvernement.

Maurice Laisant