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Quels outils pour les luttes féministes ?

réflexion sur la non-mixité
octobre 2003.

Outre la remise en cause perpétuelle de la légitimité de nos luttes (quoi ? t’es féministe ? mais enfin, voyons, c’est dépassé… aujourd’hui, c’est l’égalité !), il nous faut encore nous justifier lorsqu’il s’agit de s’organiser entre nous. Ah, la voilà, la question qui fâche, qui fait causer, qui provoque tant de discussions enflammées. La non-mixité se trouve ainsi souvent au cœur des débats, et cela même quand ce n’est pas nous qui remettons le sujet sur le tapis. Eh oui, la non-mixité féminine gêne… mais il est d’abord pour le moins surprenant que le féminisme soit la seule lutte au sujet de laquelle on se pose la question de savoir si son autonomie est légitime. On entend pourtant régulièrement, concernant les sans-papier-ère-s ou encore la lutte des Noir-e-s aux États-Unis, que l’indépendance et l’autonomie sont légitimes comme premier pas vers une émancipation face aux oppresseurs.

Or la légitimité des groupes non-mixtes femmes est questionnée, voire condamnée, et ceci majoritairement par les hommes… et c’est là où le bât blesse : il y a là une volonté de la part des hommes de garder le contrôle sur les femmes, sur leurs paroles et leurs actions. En effet, l’autonomisation des mouvements de femmes menace directement les intérêts et les privilèges dont jouissent les hommes dans nos sociétés patriarcales.

Oui, nous voulons nous organiser entre femmes, féministes, lesbiennes… de tous horizons, de toutes classes sociales… et nous le faisons !

Pourquoi ??

  • Et pourquoi pas ?
  • Parce que l’espace dit « public » (les bars, les rues, particulièrement la nuit…) est un espace majoritairement investi par les hommes : il en va donc de même pour l’espace militant. Il suffit de se pencher un peu sur les chiffres des effectifs des syndicats, partis politiques, organisations politiques, etc.
  • Parce qu’il ne suffit pas qu’un groupe soit composé à 50 % de femmes pour que son fonctionnement soit réellement mixte, et que cette mixité stricte ne préserve en aucun cas les femmes du sexisme ambiant.
  • Parce que la masculinisation de l’espace militant fait que les femmes y sont trop peu nombreuses et/ou invisibilisées. Donc les luttes et les revendications axées sur les droits des femmes et leur émancipation sont mises sur la touche et/ou considérées comme « secondaires ».
  • Parce que personne ne nous libérera à notre place : seules les femmes peuvent lutter efficacement pour leur émancipation sociale et sexuelle, pour leur propre condition de vie.
  • Parce que nous subissons toutes une oppression commune : le patriarcat, et que celui-ci a toujours œuvré à diviser les femmes. Il est donc nécessaire d’en prendre conscience et de construire une solidarité entre toutes les femmes.
  • Parce que la non-mixité nous semble par ailleurs un moyen indispensable que les femmes doivent s’approprier. Il permet d’abord d’éviter un certain nombre de rapports de domination sexiste, et il permet ensuite aux femmes de se situer un peu plus en marge de la socialisation féminine, qui nous rend excessivement dépendantes au regard et au jugement des hommes, pour penser nos prises de décision, nos actions, et pour nous penser nous-mêmes.

Comment ??

  • En nous créant des espaces de discussion et d’action où chacune est libre, et notamment en apprenant, de nouveau, à considérer la valeur de nos discours et de nos réflexions théoriques.
  • En remettant en cause l’ordre établi : et notamment les privilèges des dominants.
    • En nous réappropriant les ré-flexions et les théories féministes sur lesquelles nos prédécesseures ont planché. La question de la transmission est en effet centrale et nous permet de continuer à avancer, à progresser et à nous servir de nos acquis.
  • En questionnant la division des sphères dites « publiques » et dites « privées », et cela notamment parce que la sphère dite « privée » enferme les femmes et les isole dans un rôle qui ne participe aucunement à leur épanouissement social. Le privé est politique… ce qui se passe dans le lit, à la maison ou au travail relève de la construction sociale des individu-e-s, d’un phénomène global qui structure les rapports hommes/femmes, et cela doit être questionné d’un point de vue politique.

Et comme il y a encore des tonnes de bonnes raisons de créer des groupes non mixtes femmes et qu’il y a encore des tonnes de manières de faire… nous appelons toutes les femmes à s’organiser et à venir y participer, car la pratique et le vécu sont des outils privilégiés pour se faire une idée sur les choses et leur pertinence.

Adeline Guéret