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Un militant libertaire espagnol nous quitte

José Pascual

juin 1970.

Le soleil perce la frondaison et trace sur les tombes qui s’alignent le long des allées sablées des raies claires. Ses rayons chauds ont chassé un air maussade pour faire place au printemps. Le marbre brille et la brise encore humide caresse le feuillage. C’est le dernier hommage de la nature qui s’éveille à l’homme que nous accompagnons nombreux vers le dernier repos au sein d’une terr qui nous a fécondés tous.

José Pascual. — Un nom qui restera intimement lié à l’histoire d’un peuple, le peuple espagnol qui a refusé de plier les genoux devant la force, devant l’indifférence, devant la lâcheté, devant l’abandon, devant la trahison des clercs, devant la veulerie des foules moutonnières.

Il était né dans un village, près de Huesca, sur cette terre d’Aragon qui fut l’ultime rempart de la révolution espagnole et où était né Ascaso et tant d’autres militants de la CNT et de la FAI.

très jeune José Pascual viendra aux idées libertaires et les Athénées seront le lieu où se formara cette intelligence. L’insurrection militaire le surprendra à Barbastro, petite ville où il fait son service militaire. Avec ses camarades, il construira un « Comité révolutionnaire de caserne » qui enfermera les officiers fascistes et prendra contact avec les militants libertaires de la ville. Ensemble ils vont instaurer le communisme libertaire qui, rapidement s’étendra à toute la région.

Mais la trahison des « officies républicains » va livrer une partie du pays au fascisme, alors Pascual rejoint la colonne Durruri avec laquelle il fera toute la guerre. Et lorsque le front s’effondrera, après avoir franchi les Pyrénées, il sera interné au camp disciplinaire du Vernet où le gouvernement républicain qui n’avait pas su aider la république sœur enfermera les militants de la liberté avant de succomber à son tout sous les coups de la bestialité fasciste qu’il n’avait su ni prévoir ni combattre.

C’est pendant l’occupation, alors qu’il avait rejoint la résistance d’origine espagnole, qui continue à lutter sous d’autres cieux contre l’ennemi commun, qu’il se fera embaucher dans un service de dynamitage pour les grands travaux qu’on réalise dans les Pyrénées. Il s’agit surtout de se procurer le matériel dont la résistance a besoin. C’est là qu’il attrapera cette funeste maladie la « silicose » qui finira par l’emporter. Sur la terre d’Espagne comme sur la terre de france c’est le même combat que poursuit le militant anarchiste.

À la libération ses camarades le nommerons au Comité National de la CNT en exil et il sera désigné comme secrétaire de la commission de coordination de toutes les activités contre le régime franquiste. Et c’est à ce titre qu’il sera mêlé à toutes les luttes clandestines qui secoueront ce régime. Il serait superflu et d’ailleurs trop long de rappeler toutes les actions auxquelles il participa depuis trente ans et dont certaines récentes eurent un retentissement mondial et qui restent exemplaires par leurs originalités, par leurs précisions et qui sont devenues des formes classiques de lutte pour les mouvements clandestins modernes.

C’est à tout cela, à quoi je pensais au moment de prononcer au nom de tous ceux qui étaient présents, les quelques mots d’usage. Je revoyais devant mes yeux, comme d’autres revoyaient devant leur regard voilé, cette haute silhouette racée, cette figure allongée, ces yeux clairs que l’idéal avivait, ces traits burinés où s’inscrivaient à la fois la résolution et la douceur des âmes fortes. C’est là que j’ai vraiment pris conscience de la surface de l’hidalgo, du Grand d’Espagne, du « Quichotte » de la légende. De cette race d’hommes nés sur cette terre brulée qui élève ses cimes à une hauteur telle que les plantes rampantes grouillantes de vermines ne peuvent jamais les coiffer.

Oui, sous ce rayon de soleil qui accompagnait le militant pour rendre hommage à ce pays qu’il avait aimé et pour lequel il avait lutté, il m’a semblé voir les chevaliers de la justice, de la fraternité, de la victoire finale qui dans les fabliaux de l’Espagne sont le couronnement suprême de l’effort.

José Pascual pour nous, c’était la grenade qu’on jette, la réflexion qui ride le front, la larme sur le corps de l’enfant éventré par les bombes. Et c’est pour çà que si nous avons accompagné pour la dernière fois un militant exemplaire, nous avons, parce que les fibres de notre cœur prenaient la pas sur notre intelligence, enterré un ami.

« Les hommes, disait Camus, que Pascual avait aimés, ne sont jamais tout à fait morts lorsqu’ils sont morts pour la liberté. » On peut ajouter er cela était inscrit sur tous les visages de ceux qui lui rendaient un dernier hommage, « un homme n’est jamais tout à fait mort lorsque d’autres hommes se sont promis de continuer sa tâche ».

Et jamais José Pascual, un homme qui aurait du être enterré comme il a vécu, debout, ne sera jamais tout à fait mort car cette tâche qui fut la sienne nous la continuerons en pensant à lui.

Maurice Joyeux