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Le « Monde libertaire »

Un hebdomadaire en marche

Le jeudi 12 novembre 1987.

Héritier du mensuel, Le Monde libertaire hebdomadaire parût pour la pre-mière fois en octobre 1977. Cette naissance répondait à la nécessité liée au développement que la Fédération anarchiste avait vécu dans les années précédentes (1974-1976), et aux besoins militants créés par cette dynamique, qui se prolongera par l’acquisition, en 1980, de la nouvelle librairie, au 145 rue Amelot, et par la création de la radio en 1981. C’est cette même dynamique qui permit, au cours de cette période, le développement de l’activité des groupes et des initiatives militantes, tant au niveau de l’action (campagne en faveur du boycott de la Coupe du monde en Argentine [1978], campagne antimilitariste, campagnes de soutien au mouvement espagnol), tant au niveau de la presse (Revue anarchiste, Volonté anarchiste, Colère, etc.) que de l’évolution des débats internes à la Fédération anarchiste (retour à la notion de lutte des classes, motions du congrès de Boussy, etc.).

Après dix ans

Il y a donc aujourd’hui plus de dix ans que Le Monde libertaire paraît chaque semaine. Cette longévité a été rendue possible par les liens qui l’unissent à la Fédération anarchiste. Organe de la Fédération anarchiste, il a pu ainsi disposer des forces de l’organisation, tant au niveau matériel (par la diffusion, le soutien financier, etc.), qu’à celui de la rédaction du journal par la participation rédactionnelle, et par la capacité de relayer les équipes qui, successivement, ont eu la charte du Monde libertaire. Cet élément est important et a permis de répondre à l’usure inhérente à la charge importante de travail que constitue la publication d’un hebdomadaire, surtout lorsqu’elle est assurée bénévolement.

C’est aussi parce qu’il est géré par une organisation que la transition d’une équipe à l’autre a permis que chaque comité de rédaction capitalise et transmette l’expérience et le savoir technique acquis. Ainsi a pu être préservée la continuité du journal, tout en permettant à chaque équipe de laisser sa marque, sa personnalité.

La spécificité du « Monde libertaire »

Le fait que Le Monde libertaire soit l’organe de la Fédération anarchiste introduit un certain nombre de rapports réciproques qui contribuent à sa spécificité.

Pour la Fédération anarchiste, l’hebdomadaire a constitué une force, un lien fédéralisant qui a joué un rôle mobilisateur et unifiant par les efforts et l’attention qu’il a demandés aux militants et aux sympathisants, même si cette relation s’est modifiée avec le temps et avec la présence de Radio-Libertaire.

Pour le journal, les liens qui l’unissent à la Fédération anarchiste ont aussi joué un rôle important. Le Monde libertaire est le reflet des intérêts et des préoccupations des camarades et de l’état des forces militantes. Mais ces liens privilégiés ont aussi imposé au journal de tra-duire la pluralité des points de vue — parfois ponctuellement divergents — exprimés au sein de l’organisation.

Plus généralement, Le Monde libertaire doit en permanence parvenir à concilier des dynamiques qui ne sont pas nécessairement convergentes : celle qui est issue de la logique militante de l’organisation et celle qui est née de la logique journalistique de l’hebdomadaire.

Certains problèmes politiques suscitant des débats internes qui ne sont pas achevés au moment ou la contrainte journalistique impose au Monde libertaire de prendre position. Il faut aussi que s’exprime la pluralité des points de vue affirmés en évitant — ce qui n’a pas toujours été réalisé — le double piège du propos oiseux ou de l’incohérence née d’un journal pouvant affirmer une opinion pour l’infirmer après. Certains problèmes politiques suscitant des débats internes qui ne sont pas achevés au moment ou la contrainte journalistique impose au Monde libertaire de prendre position, il faut aussi que s’exprime la pluralité des points de vue affirmés en évitant — ce qui n’a pas toujours été réalisé — le double piège du propos oiseux ou de l’incohérence née d’un journal pouvant affirmer une opinion pour l’infirmer après.

La structure du « Monde libertaire »

Si l’on écarte l’aspect administra-tif, qui incombe au sécrétariat fédéral à l’administration, la stucture du Monde libertaire se compose d’un permanent technique, chargé de la composition des textes et du montage des maquettes, et d’un comité de rédaction. Ce sont des militants nommés individuellement par le congrès qui constituent l’équipe rédactionnelle fonctionnant collectivement, et collectivement responsable de cette gestion devant l’organisation.

Travaillant bénévolement, en dehors des activités professionnelles, militantes et personnelles, importe donc que cette équip mette sur pied une homogénéité minimale. Il s’agit donc, pour le comité de rédaction de satisfaire à la fois à la nécessité d’une diversité idéologique rendant compte de la pluralité des sensibilités présentes au sein de la Fédération anarchiste, et à celle d’une unité pratique permettant le travail commun. Génératrice de richesse, cette double contrainte impose aussi l’établissement d’un subtil équilibre dont dépend la qualité du journal.

Une lente évolution

Le fait qu’il soit l’organe de la Fédération anarchiste caractérise aussi l’évolution du Monde libertaire. Son fonctionnement étant décidé par les congrès fédéraux, les transformations qu’il subit sont le produit d’une lente évolution puisqu’elles sont l’aboutissement des débats et des décisions issues d’un large consensus. En revanche, cette spécificité a permis une évolution plus réfléchie, exempte d’accoups et de revirements sans lendemains.

À sa création, Le Monde libertaire hebdomadaire était encore fortement marqué par l’esprit du mensuel. Et même si les camarades — permanents et mandatés —, qui avaient la responsabilité du journal, prirent très vite conscience de cette réalité nouvelle, c’est à travers une lente évolution et de nombreux débats que l’ensemble des militants prit conscience de la spécificité de l’hebdo et des transformations que cette réalité imposait.

Dans les premières années, Le Monde libertaire se présentait, au moins dans sa conception, comme un « mensuel » paraissant hebdomadairement sur huit pages. Le mode de fonctionnement de l’équipe rédactionnelle demeurait celui d’un comité de lecture confectionnant chaque numéro, principalement, à partir des articles envoyés spontanément.

Et si la périodicité hebdomadaire et le manque crucial de place posèrent un certain nombre de problèmes, concernant l’articulation politique et l’ossature du journal, la parution sur huit pages empêchait en même temps de trouver une solution satisfaisante à certains de ces problèmes.

Premier problème soulevé, l’articulation politique de l’hebdomadaire suscita un long débat. Organe de la Fédération anarchiste, Le Monde libertaire devait-il être aussi le lieu d’expression de collectifs divers ? Quelle place devait être accordée aux débats, tant internes qu’externes. En un mot, le problème soulevé (qui se pose d’ailleurs à tout moment et à tout journal d’organisation) était le suivant : trouver une articulation satisfaisante entre la place prise par la Fédération anarchiste au sein de son propre journal, et celle qu’elle accorderait éventuellement à d’autres.

Éviter aussi un double danger. Ne rien publier qui provienne de l’extérieur faisait courir le risque de réduire Le Monde libertaire à n’être qu’un organe replié sur lui-même et sur le mouvement qui le faisait vivre. Ouvrir trop largement le journal, amenait le danger opposé qui aurait réduit l’expression des militants et des groupes à néant, en remplissant l’hebdo d’articles émanant de l’extérieur et en dépassant largement le cadre qui pourrait leur être consacré.

Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation, le choix qui fut fait a pu paraître insatisfaisant à certains dont nous sommes. Pourtant, la situation n’étant pas figée, elle évolue sans cesse conjointement au journal et aux activités des militants, s’améliorant au fil des ans. Le passage à douze pages, l’expérience acquise et l’évolution de la conception même du rôle du comité de rédaction ont permis d’aborder les transformations ultérieures : la réorganisation du travail de rédaction, permettant une véritable construction préalable de chaque numéro, et son corollaire ; les commandes d’articles ; une meilleure prise en compte des tâches de rédaction ; le remaniement de l’ossature du journal dans le sens d’une plus grande lisibilité.

En l’état, Le Monde libertaire se présente aujourd’hui, comme un reflet assez fidèle de la Fédération anarchiste ; mais c’est aussi une image déformée de cette réalité organisationnelle, car il est le résultat de la difficile mise en cohérence de tendances contradictoires (rapports journal/lecteur ; sympathisants/organisation ; journal/organisation) qu’il faut allier en un produit complexe.

Philippe Boubet
Gérard Coste (Gr. Sabaté)