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Autriche : la résistible ascension du FPO

Le jeudi 17 février 2000.

L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Autriche est peu surprenante. Elle représente l’apogée de la montée apparemment irrésistible du FPÖ (Parti Libéral d’Autriche) de Jörg Haider, un parti d’extrême droite moderne et « à la mode », qui préfère les costumes chics aux chemises noires ou brunes. Les sinistres records en ce qui concerne le racisme (50 % des autrichiens se disent ouvertement racistes dans les sondages) et le soutien électoral à l’extrême-droite de M. Haider (28 % pour le FPÖ, 50 % du vote ouvrier) ont été préparés et favorisés par des facteurs très spécifiques à l’histoire autrichienne. L’hypocrisie d’une nation, dont une partie très importante de la population a accueilli avec enthousiasme le retour du « fils perdu » en 1938, pour se déclarer après 1945 « première victime du nazisme ».

Les affres de l’électoralisme

C’est une interprétation de la démocratie représentative très originale qui ne donne même pas aux électeurs l’illusion de pouvoir influencer la politique du gouvernement. Quasiment déconnectés des résultats électoraux, les deux partis majeurs du pays, conservateurs et sociaux-démocrates se partageaient le pouvoir depuis les années 80. Dans ce contexte, le minuscule parti national-libéral que M. Haider dirige depuis 1986 apparaît comme la seule véritable alternative au cartel du pouvoir. Enfin, la chance de l’extrême-droite autrichienne a été de s’épargner les rivalités entre différents chefs. Avec un potentiel comparable à celui de la FPÖ, l’extrême droite allemande, et plus récemment la française, ont minimisé leurs résultats à cause de querelles personnelles.

Les réactions des autres gouvernements européens sont nettement plus violentes qu’à l’époque de la coalition de M. Berlusconi avec les néofascistes en Italie. Ce changement d’attitude semble plus être motivé par l’inquiétude des politiciens européens de voir arriver au pouvoir un parti ouvertement anti-Europe et anti-Maastricht que par des réflexions humanistes. De toutes façons, il ne faut surtout pas compter sur les « résistances » gouvernementales. Dans quelques semaines, le nouveau gouvernement autrichien sera complètement intégré dans les institutions européennes. Le fonctionnement de l’Union européenne, qui impose l’unanimité sur beaucoup de questions, ne leur laisse pas le choix.

La riposte nous appartient

Nos véritables alliés dans le combat contre l’extrême-droite sont naturellement ces manifestants et manifestantes qui assiègent courageusement et infatigablement les institutions étatiques à Vienne depuis une dizaine de jours. Le 2 février, à l’occasion de la conférence de presse qui annonçait l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, 500 personnes manifestaient devant le parlement. Le 3 février, ils étaient 20 000 devant la chancellerie du président autrichien. Le 4 février, les protestations réunissaient 10 000 antifascistes, 5 000 le lendemain.

Ils et elles ont occupé le théâtre national, les bureaux du parti conservateur et le ministère des affaires sociales, paralysé la circulation dans la capitale, bombardé d’œufs et de tomates obligeant le nouveau gouvernement à passer par un tunnel souterrain le jour de son inauguration à la chancellerie présidentielle. Elles et ils ont réussi à rétablir une culture de résistance et de protestation dans un pays qui était depuis trop longtemps caractérisé par la paix sociale et le partenariat patrons-syndicats. Pour l’instant, le plus grand risque pour ce mouvement semble résider dans l’orientation de la critique et de la propagande antifasciste vers le passé et quelques citations de M. Haider à propos du nazisme, plus qu’envers l’actualité de la FPÖ et de sa politique gouvernementale.

Un des slogans emblématiques du mouvement de protestation, « Haider est un fasciste » (et il existe de bonnes raisons de le caractériser ainsi) pourrait avoir un effet boomerang : il évoque chez les autrichiens des images collectives collant étroitement aux expériences nazies. Ces images sont très précises. Si le nouveau gouvernement ne construit pas de camps de concentration, s’il n’attaque pas la liberté de la presse, s’il ne harcèle pas la communauté juive, si son racisme ne semble pas être fondamentalement plus agressif que celui des ses prédécesseurs (qui n’était déjà pas mal), l’opinion publique se calmera assez vite, les forces progressistes libérales s’arrangeront avec les nouveaux maîtres, le mouvement antifasciste se retrouvera blâmé, accusé d’hystérie et d’obsession de la persécution.

Un programme déjà rodé : la politique sécuritaire

Le véritable danger n’est pas celui d’un déjà-vu des années 30 (des camps de concentration pour isoler des éléments subversifs ?). Pour eux et leurs idées, l’isolement est déjà un fait, en France comme en Autriche.

Le véritable danger du nouveau gouvernement autrichien est qu’il pourrait servir de modèle à une version dure de la « démocratie », inspirée par le « zéro tolérance » made in États-Unis et les régimes autoritaires d’Asie (Singapour), où la moindre faute est suivie d’une punition draconienne, où la prison remplace le RMI, où le travail forcé remplace les indemnités de chômage, où les gouvernements se réjouissent du recul du chômage dû au retour des femmes dans leurs foyers. De l’autre côté de la frontière, le FPÖ a déjà toutes les chances de servir de modèle, le triomphe de l’extrême droite autrichienne coïncidant avec la débâcle de la droite traditionnelle allemande.
Des cinq thèmes emblématiques du FPÖ que sont le racisme, la lutte contre la corruption et les privilèges, l’opposition à l’Union européenne, la libéralisation de marché du travail et le renforcement des mesures sécuritaires, le FPÖ ne peut jouer tranquillement que la carte sécuritaire.

Les réglementations racistes resteront probablement dans le cadre de la (honteuse) normalité européenne, le FPÖ ne fera pas à ses ennemis ce cadeau sur un terrain où il se sent constamment surveillé et critiqué. Pour la petite histoire, rappelons que le ministre de l’intérieur allemand, le social-démocrate Otto Schily, a récemment refusé une discussion à la télé avec M. Haider parce qu’il craignait d’être soutenu par celui-ci dans son interprétation ultra restrictive du droit d’asile !

Le discours « anti-corruption » va bientôt se taire parce qu’une fois arrivé au pouvoir, le FPÖ entrera lui-même dans cette logique politicienne qui mêle intérêt « public » et intérêts « personnels ». Les menaces de blocage vis-à-vis de l’Union Européenne, faciles à formuler pour un parti d’opposition au parlement, sont difficiles à traduire en politique gouvernementale, surtout dans un pays dont l’économie est orientée vers l’exportation et le tourisme.

La déréglementation du secteur de travail provoquera nécessairement des désaccords entre le FPÖ et son électorat, composé en grande partie du monde ouvrier et de défavorisés. Par contre, sur la politique sécuritaire, Haider et sa clique se retrouvent en phase avec sa base et ses partenaires conservateurs, mais aussi avec beaucoup de ses « ennemis » d’Autriche et d’Europe. Pour satisfaire ses électeurs mais aussi pour « compenser » les brutalités de la libéralisation, le FPÖ doit donc concentrer son intérêt sur la politique sécuritaire. Dans cette démarche, il risque d’être approuvé et de finir la période législative (quatre ans) plus renforcé qu’affaibli, démystifié et usé par le pouvoir.

Vive la solidarité internationale

Nos camarades autrichiens sont déjà les premières victimes d’un durcissement des « actions » des forces de l’ordre : matraquages fréquents, arrestations, utilisation des canons à eau (la première fois depuis 10 ans), et ce malgré la grande popularité des protestations à Vienne. Nous, anarchistes, constatons sans joie maligne une fois de plus les perversités du système parlementaire représentatif. 28 % des autrichiens ont voté pour M. Haider. Les sondages montrent une stable majorité défavorable à la coalition droite-extrême droite.

Beaucoup d’électeurs des conservateurs sont furieux car personne, chez les conservateurs, n’osait avant les élections évoquer la possibilité de s’allier à extrême droite. Une fois le scrutin terminé, les électeurs n’ont plus de contrôle sur les décisions des députés, pourtant censés les représenter. Les députés sont irresponsables (dans le double sens du terme) là-bas comme ailleurs. Et là-bas comme ailleurs, c’est à nous à prendre nos affaires en main. Les camarades antifascistes autrichiens le savent bien. Ils ont souligné à plusieurs reprises l’importance du soutien international à leur cause. Ils la réclament dans leurs manifestations : « Hoch die internationale Solidarität!] » (vive la solidarité internationale !).

Martin [Z.]. — groupe FA de Lille