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Notre camarade Malsand est mort

Le jeudi 25 décembre 1980.

iL disparaît ainsi à la fois une figure du mouvement ouvier anarchiste espagnol (FIJL, CNT, FAI), de la révolution espagnole, de la guerre mondiale (où il continuera de combattre le fascisme avec bon nombre de ses camarades), de la résistance espagnole d’après-guerre et du mouvement anarchiste espagnol en exil (CNT-FAI), de la Fédération Anarchiste Française dans laquelle il s’intégra parfaitement en tant que militant, à Bordeaux puis à Paris, où il assumera bénévolement la lourde tâche de tenir la librairie Publico, pour laquelle on ne lui sera jamais assez reconnaissant. Il y aidera beaucoup le secrétariat international de la FA, s’occupant des pays de langue espagnole. Il sera secrétaire généralde la Fédération Anarchiste.

Lutter, toujours se battre partout pour l’anarchisme, telle a été la vie si riche de Malsand, si riche que bien peu doivent la connaître entièrement. Des camarades écriront dans nos prochaines colonnes certains épisodes de sa vie.

Malsand ne se battait pas au coup par coup, pour n’importe quoi, mais sur la base théorique solide de l’anarchisme, qu’il connaissait à fond. C’était le militant anarchiste espagnol type, qui, ouvrier, a énormément lu et appris au contact de ses anciens, ainsi que dans les prisons espagnoles. Proudhon, Bakounine, Malatesta, bien sûr, mais aussi tous les autres dont on parle moins (Rocker, Herbert Read, etc.) n’avaient aucun secret pour lui qui les avait lus intégralement. Ils connaissaient non seulement les penseurs anarchistes, mais encore toutes les variantes des marxistes jusqu’à ceux de l’École de Francfort, communistes espagnols, russes et français, qui furent une fois encore les assassins des militants anarchistes en Espagne pendant la révolution, mais aussi en France, auteurs de persécutions et de règlements de compte.

Toutefois, sa culture ne s’arrêtait pas là : art, économie, philosophie et surtout sociologie, dont il nous a appris à apprécier un de ses grands noms aujourd’hui méconnus, Gurvitch ; ces matières ont été ses objets de connaissance, et ceci jusqu’à la fin de ses jours, malgré sa mauvaise vue à cause de laquelle il se faisait tout lire à la « boutique », Publico.

Une vie militante exemplaire, une culture encyclopédique, mais aussi une adaptation étonnante au temps et au lieu. C’est un des rares militants espagnols de l’exil à s’être autant intégré à la Fédération Anarchiste Française, jusqu’à devenir un de ses militants à part entière, connaissant tout et s’intéressant à tout, participant à toutes les réunions, les assemblées générales, congrès, stages de formation, meetings, etc., jusqu’à y prendre des responsabilités importantes.

À côté de la tâche harassante pour un retraité de tenir la librairie, se déplacer constamment pour acheter livres et disques, classer, s’occuper des commandes, recevoir les provocateurs et aussi les flics, il s’est chargé de la formation de pas mal de militants, leur conseillant des livres, leur parlant et leur expliquant l’anarchisme inlassablement, posant des questions auxquelles il fallait répondre juste, sous peine d’un quart d’heure d’explications de ce que l’on n’avait pas compris. Malsand n’avait qu’une hantise, c’était de ne pas voir le mouvement anarchiste français déboucher sur la création d’un réel mouvement ouvrier anarchiste, telle la CNT en Espagne. Combien de fois nous a-t-il dit qu’il eut mieux valu que la révolution anarchiste espagnole ait lieu en France. De par son rayonnement (que l’on pense à la connaissance ou méconnaissance internationale de la Commune de Paris et de la Révolution Française, du Mai 68 français même, qui ne fut rien pourtant, à côté de l’Italie et du Mexique), l’anarchisme aurait eu plus d’importance dans le monde. Combien souffrait-il de notre héritage de la bande à Bonnot et du terrorisme qui fait que l’anarchisme français n’est pas seulement reconnu.

La Fédération Anarchiste, si fortement frappée par la disparition de son camarade, retiendra ses leçons et ses apports, tant historiques, théoriques que pratiques, dans sa lutte pour la société anarchiste qui fut le seul but de tous ses combats, de toutes ses espérances et de toute sa vie. Nous ne pouvons finir cet article sans dire nôtre tristesse face à la douleur de son inséparable compagne, Laurence, pour laquelle nous n’avons que respect. Qu’elle soit assurée de notre soutien.

Que sa famille soit également convaincue de toute notre fraternité.

Fédération anarchiste