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Les Origines de notre journal, II

mars 1965.

Les Origines de notre journal, I, dans le numéro précédent.



Lorsque j’écrit « assisté de Louise Michel », il faut en déduire qu’elle fut la collaboratrice de Sébastien Faure et non la co-fondatrice du journal, comme cela fut imprimé maintes et maintes fois. La manchette porte en effet le nom seul de Sébastien Faure, l’administration étant confié à Louis Matha et la rédaction en chef à Constant Martin [1].

Dès le début, la collaboration se révèle brillante. Outre Louise Michel, qui dès le premier numéro se signale par un article : « Vagabonds », il faut noter Théodore Jean qui donne trois pièces de vers ; Michel Zévaco, qui eut son heure de célébrité avec ses romans de cape et d’épée, tous imprégnés d’un esprit anticlérical de bon aloi, qui cloue au pilori Max Lebaudy, le petit sucrier, « réformé parce que millionnaire » alors que le malheureux Chédel, pauvre sans-le-sous, meurt sous la crapaudine à Biribi : André Veidaux, André Girard, Henri Dhorr talentueux et fort en vogue à l’époque. Et l’annonce déjà du Libertaire quotidien, fait qui ne devait se produire que beaucoup, beaucoup plus tard.

Au numéro 4 apparaissent les signatures de Laurent Tailhade, Adolphe Retté, Paul Paillette, alors que commencent « Épisodes de ma vie » par celle qui écrivit La Commune, un des classiques parmi les écrits sur le mouvement insurrectionnel de 1871, la bonne Louise.

Mais Le Libertaire n’avait pas été fondé pour n’être qu’un hebdomadaire sans consistance, rabâcheur de doctrines déjà connues. Il se voulait un organe de bataille, il le fut dès son cinquième numéro.

En 1882, treize années avant la parution du journal anarchiste, la région lyonnaise avait été le théâtre d’une agitation populaire intense. Le chômage, les mortes-saisons, les grèves, la sévérité des règlements d’atelier avaient engendré un violent mécontentement et la propagande anarchiste en avait été d’autant facilitée. J’ai fait allusion dans le précédent article, à la série de brûlots en proie à la répression gouvernementale. Or c’est dans le premier d’entre eux : Le Droit social, que parut le 12 mars 1882 l’article suivant, non signé, qui portait pour titre : « Un Bouge ».

« […] »

Vingt mois après, dans la nuit du 22 au 23 octobre 1883, une bombe éclatât dans la salle de « L’Assommoir ». Lancée par qui ? Visant qui ? Nul ne l’a jamais su. Mais il y eut mort d’homme, un travailleur par malchance, Louis Miodre.

La police, dont le flair se veut sans défauts, fit un rapprochement entre l’article publié auparavant et l’attentat. Sur dénonciation probable — un des accusés du procès de Lyon fut soupçonné — elle identifia un jeune homme, orateur et propagandiste libertaire, Anne-Marie Cyvoct, comme l’auteur de l’article incriminé. Réfugié en Belgique, il fut extradé, passa aux assises, et fut condamné à la peine capitale pour « complicité morale », les débats ayant démontré qu’il n’était pas l’auteur réel de l’acte terroriste.

Amorcée par Sébastien Faure, la campagne du Libertaire allait apporter des précisions décisives sur l’affaire Cyvoct, par la plume de Bordat, animateur du Droit social au moment où paraissait l’article : « Un Bouge », qui allait révéler le nom du véritable auteur du papier tout en restant évasif sur celui de l’homme à la bombe.

Ce point d’histoire, enfin élucidé, fera l’objet de ma prochaine étude.

(À suivre)

Louis Louvet


[1[i.e. 5] Militant anarchiste de valeur. Avait joué un rôle effacé, mais utile, durant la Commune.