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Le vote des immigrés

Le jeudi 27 juin 1985.

Le débat politique fait autour de la question du vote des immigrés est à l’ordre du jour. Les élections au conseil municipal de Mons-en-Barœul (Nord) de trois représentants consultatifs des étrangers a fait rebondir la querelle. Mais force est de constater que ce débat politique est indéniablement flou, d’autant plus que la question corollaire immédiatement posée est pour le moins délicate : le droit de vote, oui, mais pour des Français ?

Les politiciens à l’épreuve

Donc, côté RPR, on parle de « francisation » des immigrés (Claude Labbé), d’intégration. Le projet de certains RPR tels que Pasqua, bien connu pour ses idées d’avant-garde, est d’accorder la nationalité française à l’immigré qui résiderait en France depuis 5 ans et qui la demanderait. Cette « francisation » passerait par un examen sur la connaissance du français courant du futur naturalisé, sa capacité à le lire et à l’écrire, et ses connaissances des institutions et du gouvernement de la France. Combien de Français resteraient-ils Français ?

Mais tout ne serait pas dit. Le futur Français ne devrait pas être absent de sa future patrie plus de trois mois [1] et ne devrait pas avoir refusé le service militaire. Ceux qui n’auraient pas l’envie de remplir ces conditions seraient éjectés au bout de trois mois.

À l’UDF, sur ce sujet, deux courants existent. Celui animé par Bernard Stasi dont la récente compilation s’intitule L’Immigration, une chance pour les Français. L’autre courant est représenté par Alain Griotteray, éditorialiste au Figaro-Magazine, dont la principale démarche consiste à appeler les militants à descendre son camarade Stasi.

Côté Parti communiste, on recherche plutôt de nouveaux terrains de lutte en tentant de faire oublier les bulldozers de Vitry.

Quant au Parti socialiste, la consigne est d’observer le silence, affirme Françoise Gaspard, ancien maire de Dreux. On insiste cependant, ô nuance, sur la notion d’insertion tout en faisant valoir que les Français ne sont pas prêts à engager le débat. Mais le problème est qu’il faut bien récupérer les voix de tous ces jeunes Beurs. Il en découle l’active campagne menée par SOS -Racisme et soutenue par le gouvernement.

L’intégration : un danger ?

Alors, insertion, intégration, assimilation ? Autant de mots signifiant peut-être la même chose, à savoir un égalitarisme niveleur. En effet, le danger est là. La preuve en est l’expérience hollandaise en matière de politique par rapport aux immigrés. Apparemment, tout a l’air de bien se passer pour les étrangers aux Pays-Bas (4 % de la population). Le délit de sale gueule n’existerait plus. L’intégration est en marche. Mais cet aspect du problème pose de nouvelles questions : l’important n’est ni l’assimilation ni l’intégration. Le problème est d’accepter les étrangers tels qu’ils sont afin qu’ils puissent décider de leur vie. Les squatters hollandais sont-ils intégrés ? Ils ont la possibilité de ce choix.

Une société intégrée, assimilée, engendre la morosité, la platitude, voire aussi une nouvelle forme de discrimination. Le Danemark par exemple a choisi l’assimilation totale : tous sont égaux, Danois et étrangers. Ainsi, aucune subvention n’est débloquée pour créer des centres culturels étrangers. En revanche, l’enseignement du danois est unique, et de règle pour tous les enfants. Conséquence : les familles ont ouvert des écoles permettant à leurs enfants d’étudier leur langue maternelle. Plus grave encore, aucune aide particulière n’est fournie aux étrangers sensés se débrouiller seuls. Résultat : étant souvent déshérités et ayant une très mauvaise connaissance des lois et avantages accordés, ils vivent en autarcie.

Mais alors, ce droit à la différence ? Il est essentiel. Cependant, n’occultons pas sa première dégénérescence : « Tu es différent ? D’accord, alors va-t-en ». Ce droit à la différence est d’ailleurs rappelé par les organisations de droite, voire d’extrême droite, parce que tremplin facile pour un racisme implicite. Différence devient très vite synonyme d’infériorité, voire de tare. De là à aboutir au ghetto… À Varsovie, n’a-t-on pas parqué les juifs, différents des autres ? Autant de problèmes délicats à définir.

Pour l’égalité des droits

Mais revenons à la question initiale : pourquoi nous, anarchistes, devons lutter pour le droit de vote des immigrés ? Tout simplement parce que l’on ne peut contester un droit que l’on n’a pas. Et puis qui contesterait le droit de vote des femmes qui n’est pourtant pas si vieux ? Libre à moi ensuite de voter ou pas. Ce n’est qu’à cette condition que je peux faire un choix. En ce sens, ceux qui vivent en France doivent avoir les mêmes droits. Et le droit de vote ne doit comporter aucune restriction.

Pourtant, ce droit de vote tel que les Français le connaissent a des limites : rappelons l’analyse traditionnelle des anarchistes : l’élu ne devrait avoir qu’un rôle exécutif, le pouvoir restant à la base. Or, le mandat impératif et la révocabilité permanente des mandatés sont interdits par la législation. D’autre part, les élections engendrent fatalement la passivité de l’électeur qui se sent pris en charge. Le vote détruit toute combativité, tel un exutoire. Or, dans l’histoire, tous les acquis sociaux sont la résultante de luttes. Enfin, et de toute façon, vote ou pas vote, les pouvoirs sont ailleurs, dans la haute finance internationale, le grand capitalisme. Et l’initiative du maire de Mons-en-Barœul ?

Il s’agit bien sûr d’une vaste mascarade, même si le maire Marc Wolf se sent un peut seul au sein de son parti, le PS. Tout d’abord, il s’agissait de redorer le blason antiraciste bien terni des socialistes. Ensuite, les « droits » accordés à Mons paraissent bien minces : restriction des conditions d’inscription, car seuls ceux qui possèdent la carte unique de séjour et paient les impôts locaux ont la possibilité de voter.

Enfin, et surtout, les conseillers municipaux élus ont seulement voix consultative. Alors, pourquoi leur présence ? Afin peut-être de cautionner la politique sécuritaire, répressive, raciste du conseil municipal. D’ailleurs, si ces élections se multipliaient en France, elles finiraient probablement par un fiasco total, à cause justement du rôle consultatif des élus. Prenons l’exemple des Conseils consultatifs des Bruxellois n’ayant pas la nationalité belge.

Créés il y a une quinzaine d’années, ils avaient soulevé l’enthousiasme des communautés étrangères qui pensaient enfin être officiellement écoutées. En fait, en 10 ans, le conseil consultatif bruxellois n’a été consulté que deux fois par les autorités, et encore, pour de ridicules affaires. Résultat : 10 % de participation aux dernières élections, et bon nombre d’autres conseils ont disparu sans avis de fermeture.

Alibis socialistes

L’initiative de Mons-en-Barœul reste un alibi de taille. Comment ne pas établir le parallèle entre cette consultation et la politique raciste du gouvernement ? Ce gouvernement issu du parti de Marc Wolf qui a interdit le regroupement familial, expulse allègrement [2] et a instauré le principe de la double peine (tout immigré condamné à un minimum d’un an de prison est expulsé après expiration de la peine). Le problème est qu’il faut bien penser au vote de tous ces jeunes Français à la peau basanée lors des législatives de 1986.

Mais la solution n’est-elle pas de faire élire des représentants des immigrés ayant des pouvoirs décisionnels ? Ils ne pourront de toute façon pas grand-chose contre le racisme. Telle est la solution qu’avait cru pouvoir apporter le Danemark où les étrangers ont le droit de vote municipal. Pour Oner Duran, actuel conseiller municipal de Copenhague, le bilan de 4 années d’exercice est nul, il ne se représentera pas.

À chaque proposition émise par le conseiller immigré, « le maire et ses autres adjoints nommaient une commission officiellement chargée de l’examiner, officieusement de l’enterrer »[Voir Libération du 7 juin 1985.]]. On ne l’a jamais écouté. Résultat : aucun candidat ne se propose pour les élections de novembre prochain. Rien n’est plus facile que de bloquer toute initiative émanant d’une institution dont on ne veut pas, par racisme latent en l’occurrence.

Et en France comme ailleurs, tant que le racisme sera encouragé et que des mesures discriminatoires frapperont les immigrés, le droit de vote ne reste-ra qu’un droit formel ou une vague promesse [3]. Car le propos ou la balle du meurtrier raciste ou du policier « baveur » ne fait pas de différence, que la victime soit étrangère, antillaise ou naturalisée.

Lydie Thouvenot
Gr. de Lille


[1Mesure déjà en vigueur.

[2Douze mille immigrés expulsés en 1984 (dont plus de 500 dans le Nord), 40 000 refus d’admission sur le territoire français la même année.

[3une des 110 propositions du candidat Mitterrand.