Accueil > Archives > 1997 (nº 1065 à 1104) > 1072 (20-26 févr. 1997) > [L’amiante est toujours un danger]

L’amiante est toujours un danger

le point avec Danielle Poliautre, présidente d’EDA
Le jeudi 20 février 1997.

M.L. : EDA_, à savoir « Environnement Développement alternatif », une brève présentation ?

D.P. : A l’origine, il y avait une bande de copains qui s’étaient retrouvés sur le dossier Metaleurop, et qui après a voulu prolonger l’amitié autour de thèmes fédérateurs : la réconciliation de l’écologie et de l’économie, la protection de l’homme dans son système [1]

M.L. : Quelles sont les derniers avatars législatifs du problème de l’amiante ?

D.P. : Avec les deux derniers décrets Barrot c’est l’interdiction totale de l’amiante qui est prononcée. Une avancée donc, bien que tardive puisque le gouvernement français s’avère être le dernier gouvernement européen à s’y résoudre. Cela dit, avec soixante-dix kilogrammes d’amiante par habitant, le problème reste entier. Actuellement, selon le rapport de l’INSERM d’août 1996, deux mille personnes décèdent par an du fait de l’amiante, et les prévisions tablent sur une hausse de 25 % des décès par an. Bientôt l’amiante va tuer plus de personnes que l’automobile !

M.L. : Qu’en est-il des indemnisations ?

D.P. : La reconnaissance comme maladie professionnelle ne résout pas tout ! Les effets pouvant se manifester au bout de dix voire trente ans, et concerner une multitude de personnes dont l’exposition à l’amiante n’est pas évidente (la lessive des bleus de travail par exemple).

M.L. : Comment se décide l’indemnisation des victimes ?

D.P. : Par un collège de trois médecins, il faut attendre au moins un an avant une indemnisation dérisoire, et savoir qu’au stade du mésothéliome l’espérance de vie se réduit à un an et demi, voire un an ! Dans ces conditions, on ne s’étonne pas de la revendication d’une accélération de la prise en charge. Le conjoint survivant ne touchera lui que des miettes. Du point de vue social rien n’est donc résolu. À propos, l’Association régionale de défense des victimes de l’amiante (ARDEVA) commence à déposer des plaintes pour les salariés d’Eternit et des chantiers navals de Dunkerque.

En fait on doit faire face à un problème bien plus grave que le sang contaminé car il s’étale sur une période bien plus longue et que rares sont ceux à ne pas avoir été en contact avec l’amiante dans leur vie.

M.L. : Justement… la prévention ?

D. P. : Bien sûr il y a obligation de défloquer. Mais se posent les problèmes du coût de l’opération, de la certification (manque de laboratoires d’analyse certifiés, pas de labélisation d’entreprises). Les risques de récupération et d’exploitation commerciale du traitement de l’amiante ne sont pas à négliger en regard des difficultés que rencontre le secteur du bâtiment et des travaux publics. Enfin l’inventaire de tous les produits contenant de l’amiante n’est pas terminé (environ trois mille produits déjà recensés). On peut parler d’un véritable déficit d’information de l’administration. Si la Direction départementale de l’équipement (DDE) édite une plaquette à l’intention des particuliers, sa diffusion reste confidentielle. Le centre interministériel des renseignements administratifs (CIRA) renvoyant carrément à E.D.A. pour plus de renseignements. La carence de l’administration se révèle bien inquiétante.

M.L. : Et pour ce qui concerne le traitement des matériaux contenant de l’amiante ? La gestion des déchets ?

D.P. : Si les opérations de défloquage présentent des garanties législatives et sur le terrain des conditions de sécurité requise, c’est que la pression a du bon. Le passé est plus inquiétant. Évoquons la décharge « interne » d’Eternit à Prouvy (département du Nord) servant de terrain de jeux aux enfants, où étaient stockés les déchets non défloqués de la centrales de Violaine, sans doute affectés aux remblais de quelque autoroute. Ou pire, la société industrielle des eaux du Nord (SIDEN) qui installe des canalisations d’eau avec de l’amiante, heureusement contrainte d’y renoncer après intervention d’une association.

De toute façon se pose au préalable le problème du classement de l’amiante. En février 1996, le Plan régional de l’élimination des déchets industriels spéciaux (PREDIS) fait l’impasse sur l’amiante. C’est seulement grâce aux pressions qu’en octobre 1996 un avenant le mentionne. Si l’amiante à usage industriel est classée déchet spécial, E.D.A. se bagarre pour que tous les types de produits contenant de l’amiante — du floquage à ceux d’usage domestique — soient pris en considération.

En fait les résidus de défloquage sont placés dans des doubles sacs déposés en décharges de classe 1 (déchets spéciaux). 1998 verra l’obligation de la vitrification et une multiplication des coûts par cinq. Pour les autres déchets contenant de l’amiante, E.D.A. suggère une structure se chargeant de la collecte.

M.L. : Et pour conclure ?

D.P. : L’interdiction, même tardive, c’est bien mais cela ne résout rien ! Et surtout, restons vigilants car des voix s’élèvent déjà pour dire que l’amiante n’est finalement pas si nocive que ça ! Notamment au Québec où le lobby des producteurs d’amiante est particulièrement actif mais aussi en France où des médecins vont jusqu’à cautionner le Comité permanent de l’amiante.

Propos recueillis par Jean-Loïc groupe May Picqueray (FA-Lille)


[1Dossier Metaleurop ; soutien à des agriculteurs aux champs pollués par des rejets de métaux lourds à Auby (59)
EDA_ : c/o MNE_ 23, rue Gosselet 59000 Lille.