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Henri Monier notre camarade

mai 1964.

Cinq ans déjà ! Pour accompagner Henri Monier au petit cimetière d’Ivry, tous ceux qui depuis trente ans luttent pour la défense de la condition humaine, s’étaient donnés rendez-vous. Le dessin, la poésie, le pamphlet se mêlaient à l’avant-garde révolutionnaire, aux amis du Canard enchaîné et de notre Monde libertaire, aux lecteurs de ce qui restent de la presse sans baillons d’aucune sorte. Un rayon de soleil qui vint percer la pluie fine qui tombait depuis l’aube fut le dernier salut d’un monde qu’Henri avait honoré. C’est Breffort, je crois qui nous fit remarquer que la lumière comme il se doit, prenait en charge l’âme de l’artiste.

Henri Mortier était entré au Canard enchaîné en 1919 — il avait dix-huit ans —. Plus tard, il devait donner des dessins à L’Œuvre, à Franc-Tireur , à Libération. Steinlen, Cassier, Henri Jeanson, Jules Rivet, d’autres encore qui furent ses anciens dans la satire et le pamphlet, guidèrent ses premiers pas. Mais son art du dessin humoristique et de la caricature politique venait de lui-même, de sa nature à la fois tendre et révoltée et cet art bien particulier, il l’avait porté à la perfection.

Qui d’entre nous a pu oublier ses petits tableaux champêtres où autour d’un clocher, des maisons biscornues s’entassaient sous l’œil réprobateur des pensionnaires de l’étable et de la basse-cour. Qui d’entre nous a pu oublier les légendes féroces au-dessous de paysages à la Walt Disney. Et ces personnages de la Comédie humaine, la bonne sœur, le curé, le général, l’académicien, le capitaliste dessinés d’un trait sûr resteront des modèles de la caricature poétique. Seul peut-être avec Jean Eiffel, il eut le don de sortir ses têtes de Turcs du cadre conventionnel pour les installer dans la nature.

Lorsque paru notre Monde libertaire, Henri Monier devait nous donner de nombreux dessins. Henri Mortier était un ANAR et ne s’en cachait pas. je revois encore sa silhouette pittoresque se détacher de la foule qui se pressait aux réunions du Club des Amis du Canard qu’il animait avec brio. je le vois dans nos fêtes et nos manifestations qu’il dominait de la tête et du verbe. Mais surtout Henri était un copain au cœur généreux, passionné de vérité et de justice, toujours prêt à rompre une lance pour une cause noble. il y avait en lui quelque chose du personnage de Cervantès. Un Don Quichotte grimpé sur ses crayons fonçant contre les poncifs, la bêtise, la vilenie. Sa plume était aussi agile que son crayon et dans son livre paru chez Pierre Horay À bâtons rompus, nous le retrouvons tel qu’il fut.

— Oui, déjà cinq ans ! Il semble que c’était hier. Que nous allons le voir paraitre parmi nous… pour boire un pot, crier une vérité, s’attendrir sur une injustice. Et lorsque nous ouvrons le Canard qui fut son journal, notre cœur se serre.

Henri Monier n’est plus parmi nous et seuls ses dessins que nous retrouvons dans nos collections de journaux jaunis parlent aujourd’hui pour lui, Ils parient bien et nous rappellent le grand artiste et l’ami incomparable qu’il fut.

Maurice Joyeux