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Hommage à Wilstar Choongo, anarchiste Zambien

Le jeudi 28 mars 2002.

Note : présenter la nécrologie d’un camarade plus de deux ans après son décès peut surprendre et nécessite sans doute une explication. Sur la liste de discussion électronique Organize, qui rassemble quelques centaines d’anarchistes organisationnels de par le monde, arriva un jour Wilstar Choongo, assistant-bibliothécaire zambien, et anarchiste autodidacte, ayant accès à Usenet du fait de sa profession. Wilstar fut plusieurs mois un pasionnant interlocuteur de la liste, puis n’y écrivit plus, et ne répondit plus au courrier. Il n’était pas difficile d’imaginer mille raisons à cela, mais à peu près impossible d’en savoir davantage : la précarité du militantisme, notamment anarchiste, dans un pays sans aucune tradition de ce point de vue, l’explique aisément. Nos camarades d’Afrique du Sud viennent d’apprendre qu’en fait, Wilstar était mort.

Cet article nous rappelle que l’idée anarchiste se décline sous toutes les latitudes. Wilstar ne verra pas l’éclosion du mouvement libertaire africain qu’il appelait de ses voeux. D’autres que lui y travaillent désormais. Qu’ils se souviennent de cet assistant-bibliothécaire qui créa le premier mouvement anarchiste connu d’Afrique centrale.



Le mouvement anarchiste international déplore le décès de Wilstar Choongo, fondateur de l’Anarchist and Workers’ Solidarity Movement (AWSM) de Zambie. Anarchiste autodidacte, Wilstar s’est signalé pour la première fois à l’attention du mouvement en 1996, par son combat solitaire pour l’augmentation des salaires des employés de l’université de Zambie (UNZA), où il travaillait en tant que bibliothécaire — et où il a constitué une formidable collection d’ouvrages anarchistes à l’intention des étudiants.

Ancienne colonie britannique, la Zambie a acquis son indépendance sans lutte notable en 1964. Les trente ans de régime socialiste africain de Kenneth Kaunda se sont révélés désastreux. L’économie est resté essentiellement minière, l’agriculture a périclité tandis que les fermiers se précipitaient dans les villes en raison des subventions urbaines pour la nourriture. Puis, l’effondrement des cours du cuivre au milieu des années 1970 a ruiné tous les espoirs de développement. Quand Kaunda a été battu, à l’occasion des premières élections démocratiques de 1991, par l’ancien secrétaire général du Congrès syndical zambien Frédéric Chiluba, le cadre était dressé pour le démantèlement néo-libéral d’un pays déjà drastiquement affaibli.

Alors que Chiluba s’était hissé au pouvoir sur le dos d’une classe ouvrière pro-démocratique, son Mouvement pour une démocratie multipartite révéla bientôt sa vraie nature. Tout groupe organisé de citoyens doit être enregistré annuellement par la police, et exécutions comme tortures ont repris après sept ans de sursis. Quoique la Zambie ait été sous Kaunda le refuge de nombreux combattants des luttes africaines de libération nationale et de groupes de guérilla (parmi lesquels l’ANC/MK), le fait de n’avoir jamais eu à se battre pour sa propre indépendance eut comme conséquence l’absence de toute tradition de contestation populaire, et une gauche minuscule représentée par le Socialist Caucus, un groupe de discussion marxiste-léniniste à l’UNZA.

Les habitants des bidonvilles mangent littéralement la terre pour
les minéraux qu’elle contient. Pendant les quinze jours que j’ai passés là-bas, cinq employés de l’UNZA ont été enterrés après être morts de malnutrition, ceci, alors que les gros et gras employés des ONG néo-libérales dirigeant l’ajustement structurel de la Zambie s’exhibaient en Land-cruisers Toyota avec des plats high-tech. C’est contre cette situation que Wilstar a défié à lui seul l’administration universitaire tout entière dans le but d’obtenir une augmentation salariale pour le personnel. Wilstar fut traîné en procès, mais cela ne lui fit pas courber la tête, et il gagna l’augmentation, ce qui encouragea des travailleurs faméliques à se battre pour obtenir davantage. C’est cette lutte qui l’amena sur la liste anarchiste de discussion électronique Organize où il établit des liens avec notre Worker’s Solidarity Federation (WSF) d’Afrique du Sud.

Wilstar est né à Kalomo, une ville de la province méridionale, dans une famille de petits paysans. Il arriva à l’UNZA en tant que bilbiothécaire. Il a écrit en 1995 et 1996, dans le journal d’opposition The Post, des articles critiques sur la nouvelle constitution de Zambie qui était en cours d’élaboration. Il y argumentait en faveur d’une décentralisation du pouvoir. En 1996-1997, il fut le pilier du soutien à un groupe d’étudiants qui avait été viré de l’UNZA pour avoir osé appeler à une réunion « hors partis ».

J’ai rencontré Wilstar pour la première fois quand il m’a invité en Zambie en août 1998, en tant que délégué de la WSF, pour donner une conférence publique sur l’ennemi commun des travailleurs zambiens et sud-africains. C’était un homme amical, flegmatique et toujours prêt à sourire. Je ne suis pas près d’oublier nos ferventes discussions sur les stratégies anarchistes, assis sur le lit de son appartement minuscule en mangeant des œufs, du pain et des oranges. Peu après ma visite, lui et la plupart des jeunes de l’association pour l’amitié entre l’UNZA et Cuba du Socialist Caucus, qui s’étaient ralliés à l’anarchisme, créèrent l’AWSM (parfois connue sous le nom d’Anarchist Workers’ Group, Zambie), la première organisation anarchiste connue en Afrique du Centre, qui de plus réunissait étudiants, employés et travailleurs.

Wilstar décida que l’AWSM ne devait pas devenir une section de la WSF à cause des grandes distances entre Zambie et Afrique du Sud, mais il espérait maintenir des contacts réguliers, ainsi qu’un soutien matériel et idéologique. Au début de 1999, la WSF proposa à l’AWSM de devenir une section de la WSF, les sections sud-africaine et zambienne se fédérant horizontalement. Mais il advint que la WSF s’est dissoute en septembre 1999 pour cause d’inefficacité dans ses méthodes organisationnelles, et a été remplacé par les Bikisha Media Collective, Zabalaza Books et Anarchist Union, bien plus productives. Notre dernier contact avec Wilstar remonte au 15 juillet 1999. Et nous n’avons pas été mis au courant de sa mort peu après, à l’âge de 35 ans, des suites de la malaria compliquée d’une méningite.

Stoïque jusqu’à la fin, il n’avait même pas mentionné sa maladie à ses camarades. Il a laissé une femme et trois jeunes enfants. Cette nécrologie arrive si tard du fait des problèmes critiques de communication entre travailleurs en Afrique. L’AWSM ne semble pas avoir survécu à Wilstar. Mais même si sa mort a interrompu ses efforts pour construire un mouvement anarchiste en Afrique centrale, l’exemple donné par Wilstar d’un anarchisme mis en pratique et en action directe reste connu comme une grande contribution à l’éthique de la gauche émergente dans cette région. Un militant du Socialist Caucus le décrit ainsi : « Il n’était pas du genre à suivre son propre intérêt. Sa mort est une perte extrêmement lourde pour l’ensemble de notre fragile gauche, et l’UNZA en est encore bouleversée. » Comme nous disons en Afrique du Sud quand meurt un militant : « Hamba kahle (bonne route), camarade Wilstar ! »

Michael Schmidt
(Bikisha Media Collective Afrique du Sud)
Trad. : Relations internationales