Accueil > Archives > 1995 (nº 981 à 1023) > 1009 (21-27 sept. 1995) > [Globalisons la lutte contre le nucléaire]

Globalisons la lutte contre le nucléaire

Le jeudi 21 septembre 1995.

Comme l’ont souligné Ronald Creagh puis Bernard du groupe Déjacque de Lyon dans les colonnes du Monde libertaire [1], la campagne menée par plusieurs gouvernements étrangers, dont les États-Unis, le Japon et l’Australie pour ne citer qu’eux, contre la reprise des essais nucléaires français, s’explique essentiellement par des intérêts économiques et stratégiques ainsi que par des arrière-pensées électoralistes. Quelle est par exemple la
cohérence des autorités australienne lorsqu’elles dénoncent ces essais tout en poursuivant la vente d’uranium à la France ?

Quant à Greenpeace, si l’on ne peut nier son investissement dans la lutte écologiste, on peut s’interroger sur ses prétentions à incarner à elle seule l’opposition aux essais et à imposer ses vues comme dogme à l’opinion publique. Le développe-ment de telles structures, dont le fonctionnement très hiérarchisé n’est pas sans rappeler celui des multinationales, est un facteur de déresponsabilisation de la population. Hormis signer ses pétitions, lire sa presse, lui envoyer des dons, quelle participation à ses actions propose Greenpeace à ses sympathisants ?

Bien que les médias l’occultent le plus souvent, préférant n’évoquer que des actions menées par les gouvernements étrangers et par Greenpeace, les initiatives populaires se sont multipliées un peu partout dans le monde. Qu’elles soient modestes, comme ce rassemblement d’une dizaine d’anarcho-punks à Tournai, en Belgique, le 9 août dernier, ou plus massives comme cet appel au boycott des produits français par 71 organisations non gouvernementales japonaises [2], elle contribuent à intensifier la pression sur l’État français.

Cependant, soyons lucide, tous ceux et toutes celles qui manifestent contre la reprise des essais ne remettent pas en cause le principe de la dissuasion nucléaire, de la militarisation de la société ou bien encore le nucléaire civil.

C’est pourquoi les anarchistes ont à participer à la globalisation de cette lutte spécifique aux côtés des pacifistes et des écologistes qui n’ont pas cédé aux sirènes électoralistes. Veillons à ce que, sous prétexte d’unité et de nécessité à mobiliser le plus largement
possible, certains ne se refassent une « virginité nucléaire » à peu de frais. Durant les deux septennat de François Mitterrand, très peu de socialistes se sont élevés contre les essais, alors que le prédécesseur d’Hirochirac est le chef d’État français qui en a autorisé le plus : 86 sur 205 effectués au total par la France dans le Sahara et en Polynésie [3]. Ils ont beau jeu de rappeler qu’en avril 1992, il a ordonné le moratoire des expérimentations nucléaires françaises, alors que, durant son passage à l’Élysée, l’incarnation de la « force tranquille » avait fait du nucléaire son pré carré, allant même jusqu’à affirmer : « La dissuasion, c’est moi » [4]. On oublie trop vite que l’affaire du Rainbow Warrior s’est déroulée sous un gouvernement socialiste, celui de Laurent Fabius [5].

Si le Parti socialiste réclame aujourd’hui « de l’argent pour l’emploi, pas pour les essais », comment se fait-il qu’hier, sous Mitterrand, il n’y ait pas pensé ? Assez d’hypocrisie politicienne ! De même, si la Jeunesse communiste et le PCF placardent aujourd’hui les murs de nos cités d’affiches tout en couleurs appelant à l’arrêt des essais et au désarmement nucléaire, on ne les avait guère entendus tant que l’Union soviétique renforçait son arsenal nucléaire ni lors de la révélation, des années après, au sujet des expérimentations soviétiques sur cobayes humains [6].

Par ailleurs, les incidents de Papeete auront permis de rappeler au plus grand nombre, s’il en était besoin, que la lutte contre les essais nucléaires devait s’accompagner d’une critique virulente de la politique colonialiste de l’État français. Bien qu’à mon sens la grève générale, surtout si elle prend une tournure autogestionnaire, soit un outil de lutte plus pertinent que le recours à la violence urbaine, je ne peux qu’exprimer ma solidarité avec les émeutiers. Reste à savoir si cette violence, largement compréhensible vu les conditions économiques imposées aux habitants, ne va pas plutôt servir les ambitions du leader indépendantiste Oscar Temaru aux dépens de la population.

Christophe Fétat (groupe Humeurs Noires : Lille)


[1Le Monde libertaire nº 1006 et nº 1007.

[2Libération du 21 juillet 1995, page 9.

[345 essais aériens, 193 essais nucléaires souterrains, le dernier compris, 12 tirs dits de sécurité ». Lire Le Monde du 2 août 1995, page 3.

[4Supplément au Monde du 11 mai 1995 : « François Mitterrand artisan de son destin », page XII.

[5On notera une certaine continuité entre les socialistes et la majorité actuelle, puisque Jean-Claude Lesquer, colonel en juillet 1985, responsable des opérations de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), concepteur du plan baptisé « Satanic » qui devait aboutir au sabotage du Rainbow Warrior, a été promu Grand Officier de la Légion d’Honneur au titre du ministère de la Défense le juillet dernier, cf. Le Monde du 3 juillet 1995.

[6Le 14 septembre 1954, l’état-major soviétique réalisait « un exercice d’étude - où 44 000 hommes de l’Armée rouge furent exposés aux radiations pour voir comment les soldats se comporteraient dans les conditions réelles d’un conflit nucléaire. Les États-Unis procéderont à des expériences analogues sur leur territoire. Dossiers et Documents du Monde nº 234, juillet-août 1995, page 2.