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Lille

Contre les lois racistes

Le jeudi 16 mai 1996.

Le dimanche 24 avril, s’est déroulé à Lille une manifestation contre les projets de lois anti-immigrés (Debré et Toubon), à l’initiative du Réseau contre les lois Pasqua et toutes les lois anti-immigrés, dont fait partie le groupe Humeurs Noires de la FA. Cette manifestation devant la Préfecture du Nord, d’une soixantaine de personnes, représente le début d’une mobilisation sur Lille contre une nouvelle salve de lois racistes, clairement destinées à provoquer la peur parmi toute la population, qu’il s’agisse d’immigrés en situation irrégulière, d’étrangers en situation régulière depuis peu ou depuis longtemps sur le territoire, d’associations de soutien aux immigrés ou du citoyen Lambda. Cette manifestation s’est heurtée à un cordon de police qui, sans sommation aucune, a brutalement repoussé les manifestants (parmi lesquels des enfants), alors que ceux-ci demandaient à entendre des explications du Préfet, représentant direct de l’État, sur ces projets fascisants. La Préfecture du Nord, comme la plupart des Préfectures du pays, applique de manière draconienne les lois et décrets en matière d’immigration. Dernièrement, un étudiant africain en thèse à Lille a été expulsé en quelques jours parce que la Préfecture a jugé qu’il ne suivait pas ses études avec sérieux. Et pour cause, son directeur de thèse (à Paris) avait pris sa retraite et l’étudiant avait dû chercher pendant des mois un nouvel enseignant dans son domaine, qu’il n’avait trouvé que sur Lille. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres (avec la fin de l’année universitaire s’annoncent de nombreux nouveaux cas d’expulsions d’étudiants sur Lille et, semble-t-il maintenant, sur l’université de Valenciennes), que vous pouvez retrouver régulièrement dans ces colonnes.

Jusqu’où iront-ils ? À l’heure où le gouvernement se trouve en grande difficulté (sondages catastrophiques pour les Législatives de 1998, menace de vote à gauche du FN en cas d’absence d’accord électoral), l’État décide une nouvelle fois de ressortir le bouc émissaire et de ratisser auprès de l’électorat du FN. Il s’agit clairement d’instaurer la peur chez les étrangers et auprès de toutes celles et tous ceux qui luttent pour un respect des droit élémentaires des personnes. Ces projets, ce sont : le fichage systématique des hébergeants ; la prise d’empreintes lors de l’entrée sur le territoire (mesure manifestement discriminatoire puisqu’elle n’existe pas pour les nationaux) ; la criminalisation des demandeurs d’asile contraints, comme n’importe quel politicien véreux mis sous contrôle judiciaire, de se présenter périodiquement aux services de police. Cela se poursuit par l’extension de la rétention administrative (mesure totalement arbitraire et contraire à la Convention de Genève) à trois fois quinze jours ; l’accroissement de l’arbitraire administratif (accroissement de l’autorité préfectorale au détriment de l’autorité judiciaire) ; l’invocation d’un motif flou de « menace à l’ordre public » pour le non-renouvellement de la carte de séjour.

L’Assemblée nationale n’est pas en reste puisqu’une commission parlementaire propose, quant à elle, 41 mesures que ne renierait pas le FN, et dont la moins scandaleuse n’est pas la volonté de priver les sans-papiers de soins médicaux d’urgence dans les hôpitaux (est-ce un hasard si l’on parle d’une telle mesure alors que le gouvernement promulgue ses ordonnances en matière de santé, destinées à casser la Sécurité sociale ?). L’imagination du pouvoir ne semble pas avoir de limite en ce qui concerne sa vocation à pourrir la vie des gens. Le PS est, quant à lui, bien ennuyé pour attaquer des mesures que certains de ses membres ont mis en place ou préconisent maintenant !

En décidant, une fois de plus, de chasser sur les terres de l’extrême droite, l’État ne fait qu’apporter de l’eau au moulin de celle-ci. Mais que pourrait-elle faire de plus qu’il n’ait déjà été fait ou ne soit en projet ? Tous les gouvernements, depuis plus de quinze ans, se sont servis des immigrés comme boucs émissaires, pour faire passer la pilule du chômage et de la misère, de l’enrichissement de quelques-uns tandis que d’autres voient peu à peu leurs espoirs en une vie meilleure disparaître au nom de la rationalité économique. Ces fameux a clandestins » que Debré veut éradiquer, l’État les a créés de toute pièce depuis quinze ans, refusant le regroupement familial, refusant pour des motifs arbitraires le droit d’asile ou une carte de séjour, expulsant des sans-logis, des étudiants, des travailleurs. Les clandestins, ce sont des gens qui se sont fait prendre dans les procédures administratives ubuesques destinées à les prendre au piège. Combien se sont retrouvés en centre de rétention pour s’être rendus à une convocation de la Préfecture pour régulariser leur situation ? Combien ont vu un agent préfectoral décider qu’ils ne suivaient pas leurs études avec sérieux et le Préfet d’ordonner l’expulsion ? Des centaines ? Des milliers ? A l’heure actuelle, les associations de défense des étrangers sont dans l’incapacité de défendre les étrangers face à des procédures administratives sans issue. Ce qui se fait maintenant pour les étrangers — un arsenal arbitraire sans faille — commence à se faire pour le reste de la population.

La bataille qui se prépare est d’envergure. La mobilisation et la sensibilité sur ces questions est indispensable si l’on veut mettre l’État en échec. C’est pourquoi, sur Lille en tout cas, celles-ci ne font que commencer, et d’autres manifestations sont à attendre (par exemple, un rassemblement identique était prévu devant la préfecture le 1er mai vers midi, après le cortège syndical).

Bertrand Dekoninck (groupe Humeurs Noires : Lille)