Accueil > Archives > 1996 (nº 1024 à 1064) > 1054 (10-16 oct. 1996) > [Toujours plus de nucléaire en France !]

Toujours plus de nucléaire en France !

Le jeudi 10 octobre 1996.

L’État français semble tenir à faire du département du Gard l’un des fleurons de l’industrie nucléaire. Initialement les pontes de l’atome comptait écouler les stocks de plutonium issus de l’irradiation de l’uranium dans les réacteurs nucléaires grâce aux surgénérateurs du type de Superphénix. Non seulement les surgénérateurs devaient utiliser le plutonium comme combustible mais étaient censés multi-plier l’énergie produite.

À l’heure actuelle l’échec cuisant de cette voie est notoire. Après l’accident survenu dans le surgénérateur expérimental Enrico Fermi en octobre 1966, les États-Unis décidèrent d’abandonner leur programme quelques années plus tard. Construit près de la frontière hollandaise, le surgénérateur allemand de Kalkar n’a jamais démarré du fait de l’opposition massive au projet. Les autorités d’outre-Rhin pensent à le convertir en parc d’attraction. Suite aux feux de sodium dans le surgénérateur de Monju en décembre dernier, le Japon a mis en sommeil cette expérience. Sur les trois surgénérateurs de faible puissance installés sur le territoire russe, un seul est, à notre connaissance, encore en marche. Seule la France s’entête dans cette impasse malgré les pannes à répétition de Superphénix. Le réacteur de Creys-Malville a jusqu’ici englouti plus de cinquante milliards de francs et consomme plus d’électricité qu’il n’en produit [1].

Déjà dotée de son propre surgénérateur depuis 1973, la commune de Marcoule près de Bagnols-sur-Ceze a accueilli l’usine Melox de la Cogema, filiale du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Cette installation mise en service durant l’été 1995 a pour vocation de traiter les surplus mondiaux de plutonium à un rythme industriel [2]. Sa principale activité consistera à recycler le plutonium sous forme de combustible Mox (94 % d’uranium et 6 % de plutonium) qu’EDF envisage d’utiliser d’ici quatre ans dans la moitié de ces centrales [3], L’usine de Marcoule soulagera celle de Caradache située dans les Bouches-du-Rhône. Cette dernière pourra ainsi se consacrer totalement au retraitement du plutonium allemand et ce dès 1997. L’unité de production de Mox construite par Siemens à Hanau dans le Land de Hesse n’ayant jamais pu être mise en service.

Melox est alimentée par des convois routiers qui traversent toute la France pour acheminer dans le plus grand secret et sous la surveillance d’un satellite et d’avions militaires, les stocks de La Hague où l’on extrait le plutonium des combustibles nucléaires en fin de vie [4]. Le 26 janvier dernier, Christian Gobert, directeur adjoint de la Cogema, annonçait la volonté de son entre-prise délétère d’accroître la capacité de l’usine Melox et, dans un deuxième temps, si la demande le justifiait, de construire une extension à la Hague, dans le Cotentin. Ce qui reculerait d’autant le retraitement du plutonium japonais qui jusque là, et à la grande satisfaction des dirigeants de ce pays en butte à une opinion publique défavorable, devra rester stocké en France [5].

Au total, le ministère de l’industrie estime les quantités de plutonium présentes sur le sol français au 31 décembre 1995 à 206 tonnes contre 191,9 tonnes en 1994, soit une augmentation de 7 % en un an. 25,7 de ces 206 tonnes appartiennent à des organismes étrangers (+18 % en un an). « Près d’un tiers du stock (63,6 tonnes) demeurent dans les piscines proches des réacteurs, sous forme de combustible usé, où il reste pendant cinq ans. Le temps que la radioactivité dé-croisse suffisamment pour autoriser son retraitement. Sur les sites de retraitement, essentiellement celui de l’usine de La Hague (Manche) dorment 123,2 tonnes de cette matière, soit sous forme de combustible usé (87,1 tonnes), soit sous forme séparée (36,1 tonnes). Du plutonium retraité ( I 0,1 tonnes) se trouvent actuellement dans les usines de combustible à Caradache et à Marcoule dans l’attente de recyclage sous forme de Mox, dont 3,6 tonnes sont principalement entreposées dans des réacteurs. Restent 5,5 tonnes de plutonium stockés dans d’autres installations en cours de transfert. » [6]

On tremble — de peur ou de colère, c’est selon — en essayant d’imaginer à combien peut se monter le stock de plutonium militaire couvert par le secret défense [7]. À la demande de ses élus, le Gard, tout comme la Haute-marne, la Meuse et la Vienne, a été sélectionné pour accueillir un laboratoire souterrain de recherche pour l’enfouissement des déchets radio-actifs. Au mépris de la loi du 31 décembre 1991, dite loi Bataille, des forages préliminaires ont été effectués pour étudier si les sols des quatre sites pressentis sont de nature à stocker lesdits déchets avant même que la concertation exigée par cette loi avec les élus et les populations n’ait été organisée par les soins de Christian Bataille, député du Nord [8].

La Coordination nationale des collectifs contre l’enfouissement des déchets radioactifs dément les affirmations de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) qui prétend qu’aucun des sites étudiés « ne présentent de caractères rédhibitoires » [9]. Bien au contraire, elle soutient qu’aucun des sites ne correspond aux critères définis par I’ANDRA elle-même : sols secs, stables, étanches, inaccessibles à l’homme [10].

La Coordination dénonce l’aspect irréversible de l’enfouissement des déchets et les risques que cela implique pour les générations futures. Elle constate également que l’État est en infraction avec la loi Bataille puisqu’il a nettement signifié sa préférence pour l’enfouissement en y accordant 50 % des budgets de recherche alors que le texte législatif lui imposait de financer à part égales les trois voies entrevues jusqu’ici : transmutation, laboratoire souterrain, et entreposage en surface.

Parmi les risques les plus importants dus à l’enfouissement on retiendra la contamination des nappes phréatiques par la remontée à plus ou moins long terme des éléments radioactifs et partant la concentration de radioactivité dans la chaîne alimentaire. « Les seules raisons justifiant le choix de l’enfouissement sont la meilleure facilité de mise en œuvre et un coût de stockage moins élevé » [11]).

Parallèlement 127 médecins des villes environnant le site du Gard (autour de Marcoule, vous l’auriez deviné !) exigent un débat sur le projet d’enfouissement et la présence au sein de la commission locale d’information — composée actuellement outre des représentants du nucléaire, d’élus locaux aux ordres des premiers, et de syndicats ne voyant pas plus loin que l’emploi — de géologues et de sismologues indépendants, de spécialistes de la santé, de personnes susceptibles de présenter des alternatives au tout nucléaire et enfin d’experts pouvant apporter des solutions de stockage des déchets radioactifs différentes de la politique en vigueur [12].

Après avoir pollué l’océan avec les déchets radioactifs accepterons-nous de voir les sols contaminés [13] ?

Plus récemment on apprenait à la lecture du Journal officiel du 31 août 1996 que la Société pour le conditionnement des déchets et des effluents (Socodei) s’était vu autorisé par le ministère de l’environnement et le gouvernement à construire sur la commune de Codolet, toujours dans le Gard, une usine de retraitement des déchets et effluents faiblement radioactifs pro-venant des réacteurs français et étrangers. Les autorités voudraient-elles se servir de cette usine comme nouveau levier politique, après le chantage à l’emploi et les mannes financières distribuées par I’ANDRA, pour imposer l’enfouissement des déchets ?

Une remarque pour finir : sans parler de la difficulté à trouver une issue satisfaisante au stockage des déchets radioactifs, ne serait-il pas plus sage de mettre un terme au programme nucléaire et ainsi d’éviter de produire des déchets supplémentaires ? Ne serait-il pas plus sage de miser dès aujourd’hui sur les énergies renouvelables telles que la géothermie, l’énergie solaire ou éolienne, et ce à très large échelle ? Qu’en pensez-vous ?

Christophe Fétat


[1Dossier « Sortir du nucléaire » page IX. Supplément au nº 203, avril 1996, de la revue Silence.

[2Libération, 22 janvier 1996.

[3Le Monde, 24 janvier 1996.

[4Libération, 22 janvier 1996.

[5Libération, 27 janvier 1996.

[6Le Monde, 5 avril 1996.

[8Les déchets concernés sont les déchets radioactifs les plus dangereux et à vie très longue (plusieurs milliers d’années).

[9Le Monde, 15 mai 1996.

[10Droit de regard, édité en août 1996 par la Coordination. Pour l’obtenir : 3, chemin de Vaux le Comte, 55000 Bar-le-Duc

[11Droit de regard, édité en août 1996 par la Coordination. Pour l’obtenir : 3, chemin de Vaux le Comte, 55000 Bar-le-Duc

[12Silence nº 206-207, juillet-août 1996.

[13150 000 tonnes de déchets radioactifs ont été déversés dans l’Atlantique. Le Monde, 20 octobre 1995.