Accueil > Archives > 2024 (n° 1857-1867) > 1866 (novembre 2024) > [Le CIRA Limousin : qu’es acò ?]

Entretien

Le CIRA Limousin : qu’es acò ?

entretien avec René Burget, secrétaire du CIRA Limousin
novembre 2024.

La Liaison FA 87 — impliquée au sein du CIRA Limousin pour la gestion de la documentation ayant trait à l’anarchisme, la coordination avec les autres centres de documentation libertaires et l’organisation d’événements, conférences et débats — nous fait découvrir ce lieu incontournable de rencontre pour les libertaires de la région.



Qu’est-ce que le CIRA Limousin et comment le situer par rapport à la FICEDL (Fédération internationale des centres d’études et de documentation libertaires) et aux autres centres documentaires anarchistes ?

La mémoire des anarchistes est un bien très précieux. Le
Centre international de recherches sur l’anarchisme en
Limousin, dernier-né des CIRA après Lausanne, le Japon et
Marseille, partage cette vocation de recueillir tous types de
documents sur le mouvement, l’histoire et les idées anarchistes.
Comme les CIRA ignorent les frontières et le nationalisme,
ils ont créé un outil fédérateur : la FICEDL, dont la
vocation est d’aider à coordonner les activités de tous les
centres d’études et de documentation libertaire à travers le
monde.

Comment le CIRA Limousin a-t-il vu le jour et de quels horizons viennent ses membres ?

En Limousin, le CIRA a vu le jour en 2008, au château de Ligoure, lors d’un colloque « Vivre l’anarchisme », dont il existe une publication par l’Atelier de création libertaire. C’est Gilbert Roth (1945‑2015), qui oeuvrait alors au sein du CIRA Marseille, qui se trouve à l’origine la création de cette antenne limousine. Il anticipait le manque de place nécessaire au stockage de la documentation libertaire. Limoges, limite nord de l’Occitanie, est située à égale distance de Lausanne et Marseille. Elle présentait l’avantage d’un marché immobilier abordable. De plus, terre pauvre, le Limousin avait été marqué par un riche passé anarchiste dès les années 1850. Les premières caisses de secours mutuel, coopératives et syndicats avaient laissé des traces de l’admirable solidarité des travailleurs migrants locaux durant la deuxième partie du XIXe siècle.

En 2015, lors du décès de Gilbert Roth survenu à Limoges, ses vieux amis avaient décidé de réaliser son rêve et d’acquérir un local. Ce qui fut réalisé en 2016, avec l’Espace Associatif Gilbert Roth (EAGR), un lieu fonctionnel en centre-ville, qu’il aurait énormément apprécié.

Les membres du CIRA, dès l’origine, viennent de tous les courants de pensées libertaires : individualistes, syndicalistes, anarcho-communistes, espérantistes, pacifistes… Universitaires, enseignants, ouvriers, salariés, cadres, permanents d’associations, retraités, étudiants, travailleurs indépendants… les horizons sociaux restent divers et multiples, tant l’idéal libertaire transgresse tous les préjugés de classe.

Quels sont les objectifs du CIRA Limousin ?

Attachés viscéralement à leur liberté de conscience, les CIRA ne touchent aucune subvention et ne prennent pas de position publique en faveur de telle ou telle association, mouvement ou courant libertaire.

Le CIRA Limousin s’inscrit dans la dynamique anarchiste locale. À ce titre, il développe un fond de documentation unique en Limousin. Il organise des causeries, colloques, librairies champêtres libertaires, rencontres avec des auteurs et éditeurs… dans l’objectif d’aider les personnes à se débarrasser d’idées toutes faites, à ne pas se soumettre aveuglément à l’autoritarisme et à partager des actions émancipatrices.

C’est un lieu de partage, ouvert à tous, sur la mémoire vivante de l’anarchie pour désamorcer les causes d’ostracisme. Lieu de culture, il vise aussi à enrichir chacun·e par l’accumulation des connaissances et la résolution des conflits.

Quelle est la nature du fonds documentaire et comment est-il alimenté ?

À Limoges, le fonds documentaire est essentiellement constitué de revues et de livres qui proviennent du fonds collecté par Gilbert Roth, mais aussi de donations et de legs.

La vocation limousine implique des recherches destinées à tirer de l’oubli les nombreuses personnalités anarchistes locales, trop souvent discrètes et généreuses. Comme l’anarchisme se joue des particularismes géographiques, la richesse documentaire reste aussi intemporelle. Même si cette histoire a déjà été partiellement écrite, il reste encore beaucoup à faire connaître sur les idées libertaires.

Quelles activités proposez-vous ?

Les trésors sont faits pour être partagés. Le beau local situé au 64, avenue de la Révolution, est animé par l’EAGR. Pour éviter de se faire pomper l’air, la première chose est de bien maîtriser son souffle : des cours de yoga y sont donnés trois jours par semaine.

Une bibliothèque permet aux membres de l’EAGR, d’emprunter des ouvrages, d’approfondir tel ou tel sujet et de le partager au cours des nombreuses causeries libertaires.

Point de rencontre du mouvement associatif non partisan ainsi que des libertaires limougeauds, l’EAGR développe la convivialité et permet des synergies dans les luttes. Tous les mois, des collectifs s’y réunissent (Non au SNU, Limousin Palestine, Noir Kaolin, Abolir la prison, Abolir l’armée…). Des ateliers plus ou moins réguliers permettent de maîtriser l’écriture, le découpage, les techniques artistiques de base, la prise de parole et même la sieste et le lâcher-prise !

Le Fan Club de Raoul Hausmann y fomente ses coups d’éclat dadaïstes les plus désopilants (dont le 25 décembre 2025 à minuit, la commémoration des 50 ans de la destruction de la porte de la prison de Limoges).

Le Groupe Limousin de l’Union Pacifiste y déclame ses discours les plus saignants pour maudire la guerre, en hommage à l’orphelin du monument aux morts de Gentioux (Creuse), au son des canons de l’Internationale des résistants à la guerre ! La solidarité avec tous les insoumis et déserteurs de la planète ne souffre aucune exception.

La voix sans dieu ni maître y est devenue l’objet d’un culte régulier, grâce à l’intercession du Streaming de Radio libertaire. Ces messes basses intriguent fort le voisinage.

Le programme des acractivités (concentré d’activités acratiques) est diffusé tous les mois par une Feuille d’info (disponible sur demande à cira.limousin@gmail.com ou sur le site ciralimousin.ficedl.info). Il y est évoqué brièvement des livres qui ont intéressé les membres de l’EAGR. De façon récurrente, interviennent des événements, tels le printemps des poètes, le temps des cerises, les librairies champêtres libertaires (au château de Ligoure), des conférences gesticulées, des chansons anarchistes, etc.

Bref, si l’Éducation nationale va si mal (l’uniforme scolaire est même expérimenté dans une école de Limoges), ce n’est pas encore le cas du bouillonnement intellectuel de l’EAGR !

Quels publics et organisations fréquentent le CIRA Limousin ?

C’est vrai, objectivement, il s’y rencontre peu de curés, de militaires et de juges. Mais, comme l’attachement à la liberté d’expression reste profondément valorisé chez les anarchistes, toutes sortes de gens peuvent fréquenter ce haut lieu (il se trouve tout en haut de l’avenue de la Révolution !). Par principe, les réunions de partis politiques n’y sont pas admises : comment agir pour l’émancipation en tolérant l’autoritarisme de conquérants du pouvoir ?

Quelles difficultés rencontrez-vous au quotidien ?

Les anarchistes ont souvent de fortes personnalités. Certaines, trop imbues de leurs certitudes doctrinales, doivent faire l’objet de rappels « à l’ordre ». Surtout dans la vie commune ! Le côté culturel de l’EAGR facilite les remises du curseur sur des dialogues respectueux et ouverts.

Comme, depuis l’ère du smartphone, la société devient de plus en plus malade d’incommunicabilité, nos efforts sont mobilisés pour tenter de traduire le français en une autre langue plus actuelle (ou inversement).

Ces difficultés à communiquer rendent les annonces de nos événements très délicates. Donner un tract est désormais perçu comme une agression, voire un geste anti-écologique. Les canaux de grande diffusion (presse quotidienne, gratuits, radios, TV…) ne parlent pas facilement des actions publiques du CIRA Limousin, malgré le séduisant détour cognitif qui les caractérise.

Les sites Internet, quelques listes de mouvements amis, les journaux libertaires apportent une aide décisive pour transmettre les thèmes et dates des activités à l’EAGR. Force est de constater, cependant, que les problèmes pour réunir une assistance correcte relèvent du mythe de Sisyphe (cf. l’essai d’Albert Camus en 1942).

L’offre reste pléthorique dans le domaine associatif et culturel, dans une métropole universitaire de 200 000 habitants, dont 50 % sont âgés de 60 ans et plus.

Autre difficulté, il n’y a qu’une petite poignée de membres engagés activement au CIRA Limousin. D’où des problèmes récurrents de main-d’oeuvre, de disponibilité et d’épuisement des énergies. Le temps, le renouvellement des responsabilités, le rajeunissement de l’équipe, autant de points durs à traiter avec tact et délicatesse, comme dans bien d’autres associations.

Avantage (mais pour combien de temps encore ?), la circulation permet à des membres éloignés de venir sans trop de tracas à Limoges pour les soirées, les permanences, ou le catalogage (gros chantier en ce moment).

Autre atout majeur, le CIRA Limousin est extraordinairement ouvert à toutes les propositions pour l’organisation de causeries, de débats avec des auteurs ou des organisations et des groupes anarchistes en tous genres : un lieu accueillant et une porte sur les innovations !

Comment envisagez-vous l’avenir et quels sont les projets du CIRA LIMOUSIN ?

À l’avenir, pour remplir notre objet statutaire, nous souhaitons demeurer des passeurs de mémoire et être acteurs de l’incubation et de la pérennisation des idées anarchistes.

Le CIRA Limousin a aussi comme projet principal, à court ou moyen terme, de trier et répertorier l’ensemble de son fonds documentaire sur un support informatisé permettant de le partager avec les autres centres et le public, un peu à l’image de ce que font déjà les CIRA de Marseille et Lausanne.

L’accès au savoir anarchiste reste premier dans la lutte contre tous les autoritarismes.

Nous aimerions également pouvoir disposer, voire participer à la création, d’une historiographie du mouvement anarchiste limousin et de ses principales figures (Adrien Perissaguet, etc.). Faciliter les recherches sur les libertaires aux archives (municipales, départementales...) fait partie de notre ADN local.

En 2025, pour les 10 ans de la disparition de Gilbert Roth, une brochure se prépare : merci à celles et ceux qui l’ont connu de nous adresser leurs témoignages avant fin janvier !

De plus, cette année, à la Librairie champêtre libertaire organisée au château de Ligoure (cf. Le château sans maître, livre sur ce lieu et son mode de fonctionnement, disponible au CIRA Limousin [1]), une douzaine de Centres de Documentation Libertaire de langue française ont pu échanger afin de trouver des réponses techniques à la création d’un portail commun pour la recherche, le partage des idées, expériences, pratiques et ressources, tout en facilitant la communication et les échanges entre les centres intéressés. Comme c’était le but même de la réunion de la Ficedl, que les CIRA avaient initiée à Saint-Imier l’été passé, mais qui depuis n’avait pas trouvé de réponse, nous avons décidé (Cira Marseille, CNT 64, Cira Limousin, CRAS et BAM de Malakoff) de travailler sur ce projet, qui, bien sûr, reste ouvert à celles et ceux qui se sentent concernés par cette réalisation.

Il est ressorti de nos discussions qu’il y a une volonté de faire cet équivalent de Rebal [2] dans le cadre de la FICEDL. Il a été indiqué aux Centres présents, qui n’en sont pas membres, comment le devenir.

Fédérer l’ensemble des Centres de documentation libertaire est essentiel et semble devenir une priorité commune. Ensemble, nous serons toujours plus efficaces.

Entretien réalisé par Yannick
Liaison FA 87


[1CIRA Limousin, 64, avenue de la Révolution, 87100 Limoges
(10 € + port 4 €)

[2Rebal : Réseau des bibliothèques et archives anarchistes et libertaires