Alors que la controverse autour de lattitude des autorités confédérales durant la Seconde Guerre mondiale ne mollit pas, le Groupe pour une Suisse sans armée relance sur la place publique le débat à propos de la défense nationale et de la politique étrangère.
Le 23 novembre dernier, dans le restaurant Kreuz à Soleure, là où le Groupe pour une Suisse sans armée fut fondé en date du 12 septembre 1982, lassemblée générale du mouvement a approuvé deux nouvelles initiatives. Celle intitulée " Sécurité plutôt que défense : pour une Suisse sans armée " vise à abolir les corps de troupes. Elle stipule de surcroît que le peuple décide dune participation à des opérations internationales de maintien de la paix en dehors du territoire helvétique. La seconde, " La solidarité amène la sécurité : pour un service civil volontaire pour la paix ", dépendante du point de vue de son contenu de la précédente, souhaite contribuer au désamorçage des situations de violence. Toute personne intéressée bénéficierait dune formation de base quant à la résolution pacifique des conflits. La collecte des 100 000 signatures requises en vue dune votation débutera le 17 mars 1998. Pour Nico Lutz, le secrétaire du G.S.S.A., " larmée recherche désespérément une nouvelle légitimité Elle constitue un facteur de risques Elle nest pas une partie de la solution mais du problème Nous ne voulons pas déléguer la sécurité et la paix aux stratèges militaires Durant des décennies, larmée incarnait la politique du repli national. Aujourd'hui nous nous étonnons que pour de nombreux compatriotes, lEurope et le monde sarrêtent à nos frontières ". Andreas Gross, un des pionniers du G.S.S.A., a démissionné de même quAdrian Schmid, Martin Bühler et Jürgen Schulz. Le conseiller national socialiste de Zurich considère que les deux propositions sont vouées à l'échec dans le contexte actuel.
Invité le dimanche 30 novembre sur le plateau de la télévision suisse romande pour l'émission Droit de cité, Paolo Gilardi, militant du G.S.S.A., rappela lineptie de lappareil militaire : " Quest-ce qui justifierait, en termes de menaces, une armée de 180 000 hommes (1) ? Le budget de lO.T.A.N. est quarante fois supérieur à celui de lOrganisation pour la sécurité et la coopération en Europe Je refuse que lidentité suisse passe par luniforme " En préambule à la discussion, le présentateur Dominique von Burg précisa que, daprès les derniers sondages, seul un Suisse sur trois demeure convaincu de la nécessité de larmée, laquelle coûte 5 milliards de francs suisses par an (20 milliards de francs français).
En 1973, le journaliste et documentariste bâlois Roman Brodmann publia un opuscule de politique-fiction quil titra Suisse sans armes - 24 heures dans lannée X (2), dans lequel il imagina quun dimanche 3 septembre la population se prononcerait, à une courte majorité, en faveur de la suppression de larmée. Neuf ans plus tard, des jeunes gens créèrent le G.S.S.A. Son film, Le rêve de labattage de la vache la plus sacrée, diffusé début juin 1987 sur lA.R.D., la première chaîne allemande, valut à Roman Brodmann d'être traité de " souilleur de nid ", voire de " traître à la patrie " par lestablishment politique et la caste galonnée. Le conseiller national Arnold Koller, chef du département militaire, sinsurgea le 9 juin 1987 à la tribune du Parlement de la programmation " dun film à ce point tendancieux dirigé contre une institution centrale dun pays ami ". Lutopiste Roman Brodmann puisa son espoir pour le futur dans ladhésion des moins de trente ans à laudacieux et blasphématoire projet.
En février/mars 1989, le célèbre écrivain Max Frisch (15 mai 1911 - 4 avril 1991) rédigea un dialogue entre Jonas, une jeune recrue, et son grand-père sur le thème Suisse sans armée ? Un palabre (3). Le vieil homme qui a vécu la guerre et ingurgité un temps les mensonges relatifs à " la neutralité ", énonce les enjeux : " si nous parvenons à une paix authentique, cela deviendrait à nouveau dangereux. Pourquoi avons-nous besoin de la guerre froide ? Lestompage des images de lennemi qui ont fait leurs preuves pourrait soudainement contrecarrer lapprobation des milliards pour larmement ". Pour le vétéran, " larmée est un club paranoïde Sérieusement, Jonas : se débarrasser delle signifierait qu'émerge une autre Suisse, rends-toi compte, une Suisse vivante, voilà ce que lon redoute. Et pour empêcher cela, nous nécessitons larmée ". Pour Max Frisch, " la pensée militaire a imprégné l'histoire durant des siècles et conduit à la situation actuelle qui nous oblige à nous en défaire. La croyance en une possibilité de paix, lunique possibilité de survie pour le genre humain, est une croyance révolutionnaire ".
Le G.S.S.A. avait suscité une adhésion non négligeable lors de deux référendums quil parvint à imposer : 35,6 % des électeurs ainsi que les cantons de Genève et du Jura s'étaient prononcés le 26 novembre 1989 en faveur de la suppression de larmée ; le 6 juin 1993, le moratoire sur lachat des avions de combat américains F/A-18 avait recueilli 42,7 % des suffrages.
(1) Actuellement, environ 400 000 individus sont mobilisables. Paolo Gilardi répondit à Pierre-Alain Gentil du Parti socialiste, partisan de restreindre de moitié le nombre des soldats.
(2) Non disponible en français - réédité en 1989 chez Zytglogge à Berne
(3) En langue allemande, chez Suhrkamp - Francfort-sur-le-Main