Le 19 septembre 1977, Enrico Berlinguer écrivait dans lUnita : " aujourd'hui que le fascisme est un mot imprésentable, ils utilisent le mot autonomie ". Tout le monde voit bien à qui ces paroles sont adressées.
Après vingt ans, il arrive que les héritiers du P.C.I. du versant maximaliste, et les héritiers de lautonomie, du versant minimaliste, trouvent un terrain dentente, dune part sur la défense de l'État socialiste, ce qui produisit la manifestation du 25 octobre. Refondation communiste aura bien du mal à convaincre tous ceux qui participaient à la politique gouvernementale quelle entendait soutenir Dini, Ciampi et les autres, jusque là combattus par tous les moyens.
Ce qui tend à mettre en évidence le comportement de la gauche institutionnelle dans laccomplissement de féroces actions de représaille sur le terrain de la reconstruction historique afin de légitimer son pouvoir. Et toujours dans le même but de faire des actions de forte répression sociale envers ceux qui sopposaient et ne voulaient pas se laisser bâillonner.
Quelques exemples : dans la nuit du 5 au 6 octobre 1996, certains groupes dextrême droite ont souillé le local de lA.N.P.P.I.A. (1) à Livourne. Peu de temps avant, à Pise, il y avait eu des affrontements dans un restaurant parce quun anniversaire était fêté avec un gâteau en forme de croix gammée. Cest durant ces jours que les rescapés de Salo (2), les membres du M.S.I. de Rauti et les fascistes en veste croisée de Fini essayèrent d'élever un monument à leurs morts. ??? sont égaux, pourquoi ne consentirions-nous pas aux vaincus le droit de citoyenneté ?
Cest cette question qui inspira le raisonnement qui devait se conclure avec laffirmation : l'heure de la paix nationale est arrivée. On doit assurer aux fascistes une place au premier rang. Ainsi, au congrès du P.D.S. où Raudi siège sur un confortable fauteuil ; ainsi, dans les deux chambres où Fini dicte ses lois en faveur dun système présidentiel ; ainsi les fascistes peuvent inaugurer des monuments, être reçus dans les salles communales avec des partisans pour obtenir des médailles, comme cela sest produit à Cararre, grâce à la mairie P.D.S.
Et ainsi de suite : à Rome, où Rutelli (3) voulait inaugurer une rue au nom de Bottai, auteur des lois xénophobes dans le gouvernement de Mussolini ; tandis qu'à Pise on essaie d'ériger un monument à Giovani Gentiile (4) dans la Normale (université très renommée - N.D.T.).
Ce qui est encore plus terrible, cest le recul culturel et historique de ce qui est désormais chose connue par tout le monde : les fascistes nont pas été vraiment battus. Nier cela revient à nier la période de la stratégie de tension, cela revient à oublier les étroites relations que les services secrets italiens ont maintenues, jusqu'à nos jours, avec les anciens et les nouveaux fascistes, cela revient à taire les bombes qui ont tué des milliers dinnocents et qui furent des bombes d'État et des patrons, bombes utilisées pour arrêter lavancée du mouvement ouvrier révolutionnaire. Dautre part, est symptomatique de cette semaine lagression à coups de couteaux de deux antifascistes qui avaient participé, à Rome, au cortège en mémoire de Walter Rossi, agression commise par des fascistes avec la complicité des forces de lordre.
Cest la première fois que le choix politique de pacification nationale est appliqué aussi indistinctement afin denterrer, en même temps, deux périodes historiques comme la résistance et les années soixante-dix.
La bataille menée par le comité " libres libres " pour la libération de Bompressi, Pietrostefani, Sofri (5) est une bataille qui sinscrit dans cette logique. En effet, ils ont immédiatement parlé daffaires personnelles, de simple erreur de procès, sans relier cette histoire à une vision plus générale qui aurait pu rouvrir, dun certain côté, la discussion sur ces années et nous aurait poussé à nous réinterroger sur les procédés répressifs avec lesquels l'État veut obliger au silence ceux qui, encore aujourd'hui, luttent pour un monde plus juste d'égalité et de liberté, et avec ceux qui dérangent pour le simple fait quils sont des immigrés, vendeurs ambulants, différents, non soumis.
Ainsi sont négligés différents problèmes. Pourquoi l'État, après tant de temps, a intérêt à mettre en prison ceux qui désormais nont plus rien à partager avec cette page d'histoire ? Pourquoi les lois antiterroristes sont-elles toujours en vigueur ? Pourquoi encore aujourd'hui, si un policier tue par accident un simple passant, la loi Reale le protège et le rend invulnérable à toute sanction judiciaire ? Pourquoi, il y a seulement quelques mois, lors dun concert de solidarité avec des anarchistes arrêtés dans un centre social à Scandicci, les forces de lordre ont-elles agressé avec une particulière violence les participants à cette initiative, sacharnant sur des jeunes filles attachées au portail ou sur des garçons couchés à terre ? Pourquoi les prisons sont-elles pleines dimmigrés accusés pour la plupart de petits délits ?
Ce sont toutes ces questions qui lient aujourd'hui encore notre époque aux année soixante-dix. Et la solution ne sera sûrement pas donnée par la politique de pacification nationale. Les fascistes, dans les années soixante-dix, infiltraient les cortèges main dans la main avec la police. Les jeunes fascistes qui organisaient des embuscades et qui tissaient des relations avec les pires dictatures, avec les Pinochet, les colonels grecs, lEspagne franquiste ; ces fascistes navaient rien à faire avec ceux qui, dans la rue, étaient de lautre côté des barricades et qui, avant même de lutter pour une transformation radicale de la société, avaient la nécessité de se défendre, de ne pas rester isolés, de ne pas se faire emprisonner ou tuer.
Même géométriquement, le croisement entre appareil de répression de l'État et fascistes fut quelque chose qui a traversé les rues de nombreuses villes et les a tachées de sang. Ce qui arriva à Franco Serantini (6) était ce qui pouvait arriver à tous ceux qui alors cherchaient à se soustraire à ces géométries par laction directe et laspiration à détruire tout pouvoir constitué.
Encore aujourd'hui, le fascisme reste une possibilité pour l'État et le capital. Ceux qui le nient ne savent pas ce qui se passe dans les commissariats et les prisons italiennes. Ceux qui le nient ne savent pas ce que signifie lutter pour une société plus juste et être soumis aux perquisitions, aux abus des forces de lordre, aux machinations des appareils judiciaires. Ceux qui le nient ne savent pas ce que signifie laisser ses proches et ses terres pour faire des mois de prison avec pour seule faute davoir exposé ses produits sur un trottoir sans en avoir lautorisation.
(1) A.N.P.P.I.A. : association de partisans, résistants durant la 2e guerre mondiale
(2) Salo : république de Salo, république fasciste créée à la fin de la 2e guerre mondiale
(3) Rutelli : ex-Vert, maire de Rome
(4) Giovani Gentile : intellectuel qui fut lié aux fascistes
(5) Sofri: lors de son procès, cet ex-militant des Brigades Rouges qui ne renie rien à son passé, a été condamné à vingt ans de prison
(6) Franco Serantini : copain anarchiste mort en prison après une arrestation policière musclée