Suite à la venue de Fidel Castro au Vatican le 19 novembre 1996, le pape a effectué une visite officielle du 21 au 26 janvier à Cuba. Grande première du pape à Cuba, pays le moins catholique dAmérique latine.
Cette rencontre, qualifiée de surprenante par un bon nombre de médias, correspond aux personnalités des deux antagonistes : ils " ont le sens de l'Histoire profondément ancré en eux ", ils sont autoritaires, éliminant leurs opposants sans remords, ils sont extrêmement dogmatiques et pragmatiques et chacun est fasciné par lautre (les grands esprits se rencontrent !) (1).
Bien sûr, afin de comprendre le pourquoi de cette visite il faut aller bien au-delà de la simple concordance psychologique entre le tombeur des régimes communistes des pays de lEst et lun des derniers dictateurs marxistes. En effet bien que saluée comme un signe de détente par les cubains, cette visite n'était que prétexte : pour lun, récupérer ses brebis égarées, et pour lautre, sortir de son isolement de la scène internationale. Wojtyla veut redonner un pouvoir à l'Église catholique cubaine dans un pays pratiquant en majorité la santeria (sorte de syncrétisme de rites africains et catholique) et Fidel Castro veut récupérer une légitimité politique nationale et internationale qui lui fait défaut depuis le retrait de laide économique et politique de lU.R.S.S. en 1989.
La méthode employée par nos deux stars de la semaine dernière (quoique vite détrônées par Paula Jones et consurs) est la même : le populisme. Pendant une semaine, le Che et Jésus se sont fait face sur la Place de la Révolution à La Havane. Toujours contrairement à ce que dit la presse, il ny a ni vainqueur, ni vaincu car ces deux barbus avaient le même but : libérer les pauvres pour mieux les asservir. Fidel et Wojtyla lont bien compris, lun usant et abusant de licône du Che et lautre donnant sa première messe à Santa Clara, la ville mausolée du Che.
Par contre ce quil faut surtout retenir de ce voyage est quil na apporté aucun réconfort à la souffrance du peuple et pire encore les cubains risquent de payer très cher la venue de Wojtyla chez les Barbudos. Dailleurs, dès le départ le ton était donné : le pape a exigé en contrepartie de sa venue, sans aucun doute afin de " soulager " le peuple cubain de sa misère, que soit rétablie non pas la liberté individuelle, mais la liberté de culte, bien plus importante à ses yeux. Exigence apparemment accordée puisque le pape avait dans ses bagages 40 prêtres étrangers pour renforcer le contingent pastoral de seulement (sic) 260 personnes. De son coté Wojtyla, au cours de la messe célébrée à Camaguey le vendredi 23, a condamné lembargo américain contre l'île et a même demandé aux jeunes Cubains de ne plus émigrer. Après cette dernière requête inespérée, Fidel Castro a dû être aux anges !
Le peuple cubain connaît une situation des plus précaires, due à une gestion économique hasardeuse du leader Maximo et au blocus économique imposé par les États-Unis depuis novembre 1960, renforcé par la nouvelle loi Helms-Burton de 1996. Blocus dautant plus renforcé que cette loi a été acceptée par lUnion européenne et ceci malgré toutes les condamnations votées par lO.N.U. et les dénonciations de violation du droit international (quel droit ? Le droit des gouvernements à participer à la mondialisation du capitalisme, sans doute) par les mêmes quinze. Loi dautant plus inutile et désastreuse quofficiellement le régime cubain nest plus considéré comme dangereux par les États-Unis, et que cette loi a pour conséquence immédiate une réduction de laide financière de lUnion européenne à Cuba, dont les cubains payent le prix fort (2).
Bref les cubains, écrasés depuis 39 ans entre un régime autoritaire et un blocus économique de plus en plus dur, ne connaîtront le salut que dans la prière. Merci Jean-Paul. Il a même ajouté quil espérait que le jour férié accordé par Fidel Castro à loccasion de Noël ne serait pas une exception.
Le peuple cubain qui sest déjà vu deux fois confisquer sa révolution en 1898 (3) et en 1959 (4) risque de voir sa prochaine révolution à nouveau confisquée. Cette dernière n'étant possible qu'à la mort de Fidel Castro, et encore, le peuple est plus que muselé, Raul Castro - le dauphin - veille ! En effet quand on voit la régression de la Pologne vis-à-vis de lavortement ou la remontée de lantisémitisme sous la houlette du clergé polonais (5), on ne peut qu'être désolé pour le peuple cubain du passage de Wojtyla. Les seuls acquis quil reste aux cubains, la médecine gratuite (même sil ny a plus de médicaments) et l'éducation laïque et gratuite, risquent d'être remis en cause avant même la chute de Fidel Castro : au troisième jour de sa visite, le pape a fustigé lattitude libérale des Cubains vis-à-vis de lavortement et de la sexualité des mineurs et critiqué le système éducatif national, évidemment les écoles catholiques avaient été laïcisées au moment de la révolution.
Que les croyants se rassurent donc, malgré lavis d'Henri Tincq, il ny a pratiquement pas de " risques de récupération politique de ce voyage historique " (6). Je rappelle que les relations diplomatiques entre le Vatican et la Havane nont jamais étaient rompues et les églises nont jamais été fermées. A part en Chine où il na pas pu lever linterdiction du culte catholique, Wojtyla est bien lun des plus grands évangélisateurs de tous les temps (sans avoir recours à l'épée) de même quil est le fer de lance du libéralisme économique mondial : " Puisse Cuba [ ] souvrir au monde et le monde souvrir à Cuba " (7).
Je tiens sincèrement à souhaiter bon courage au peuple cubain qui sest vu lentement privé de la plupart de ses droits et qui risque de voir un des derniers, le droit à la laïcité, senvoler en fumée (de Cohiba bien sûr !).
(1) Leurs personnalités sont parfaitement illustrées dans larticle " Deux hommes de pouvoir fascinés lun par lautre " de Tad Szulc du Courrier international du 15 au 21 janvier 1998. Tad Szulc a écrit leurs biographies !
(2) Pour plus de détails se référer à larticle du Monde diplomatique de février 1997 : " La Havane sous la pression de la loi Helms-Burton "
(3) En 1898, les nationalistes cubains sont en train de virer les Espagnols de Cuba quand les États-Unis déclarent la guerre à lEspagne, reprenant à leur compte la victoire et le contrôle de l'île
(4) Larrivée à La Havane de Fidel Castro le 8 janvier 1959 après la chute de Battista
(5) " Gdansk, nouvelle capitale de lantisémitisme " article paru dans Courrier international du 8 au 14 janvier 1998
(6) Le Monde du 30 décembre 1997
(7) Tous les détails dans le dossier " La visite du pape à Cuba " du Monde du 23 janvier 1998