LCR : de " changer la vie " à changer de vie

Les politiciens font du marketing. Leurs congrès sont des opérations de communication. En cette fin janvier, en même temps que le R.P.R., ironie de la toute petite histoire, la Ligue communiste révolutionnaire se cherchait un nouveau nom pour mieux se vendre.

La direction avait fait le forcing. Dans son hebdomadaire, depuis deux mois, une tribune ouverte était exclusivement réservée à cette question. à prendre au sérieux les arguments généralement avancés, le plus logique aurait été d’opter pour " Mouvement des radicaux de gauche ". Tout y était, le flou du mouvement, la " radicalité " invoquée et la référence à la gauche, même le terme socialiste pouvant effaroucher. Dommage, le sigle était déjà pris. Ils ont du se replier sur Gauche démocratique et révolutionnaire, qui n’a que frôlé la majorité des deux tiers. Contre son gré, elle demeure L.C.R.

Dépité, Krivine a annoncé. " Le comité central, rajeuni et féminisé, peut très bien décider l’organisation du prochain congrès uniquement sur ce point " (1). Écartée malgré elle de la " gauche plurielle ", la majorité de la Ligue est prête à passer en force, quitte à sacrifier la minorité (30 %) (2) arrimée à la tradition léniniste, pour mieux s’adapter à l’insertion dans la vie publique de la gauche qui bat au rythme des échéances électorales. Mais déjà, ce congrès a avalisé des changements significatifs : l’abandon des pseudos, de la période probatoire avant adhésion et du fonctionnement en cellules.

Capitulation ou petite ruse opportuniste ?

Certainement, un peu des deux. Depuis l’origine, le courant trotskiste se pense comme un état-major révolutionnaire privé d’armée. Le trotskisme peut se résumer à l’expérimentation de multiples " raccourcis " visant à conquérir des troupes : " entrisme " dans les organisations réformistes pour " radicaliser des minorités combatives " ou tactique de " front unique " visant à " mettre les réformistes au pied du mur ".

Il en résulte une schizophrénie intrinsèque du trotskisme : les organisations réformistes sont des alliées qu’il faut amadouer pour mieux les plumer.

Cette pratique du double langage (3) permet de présenter comme relevant de la haute stratégie ce qui n’est vraisemblablement qu’une capitulation politique. Les militants de la Ligue voulaient changer la vie. Prosaïquement, ils veulent aujourd'hui changer de vie.

Prenant pour exemple Rifondazione en Italie, la Ligue appelle de ses vœux la création d’un nouveau pôle à gauche, qualifié de " radical " mais aux contours politiques flous. Du point de vue de la gauche dans son ensemble et du P.S. en particulier, un tel parti n’aurait pas que des désavantages : principalement, il renforcerait les capacités de la " gauche plurielle " à canaliser les mouvements sociaux en partenariat avec le gouvernement (4).

Où va la L.C.R. ?

La Ligue à son plan de bataille, il lui manque les troupes. Officiellement, la L.C.R. regroupe 2 000 militants, en réalité peut-être 1200. Il lui faut des alliés. Dixit Krivine : " une gauche en rupture avec le capitalisme existe dans le P.S., au P.C. et chez les Verts ". Mais Krivine a beau ne pas être très regardant et se plier à toutes les courbettes, les partenaires possibles se défilent.

Le marais de la gauche alternative est en voie d’assèchement, essentiellement au profit des Verts. Selon toute probabilité, les refondateurs ne quitteront pas le P.C., ni la gauche socialiste le P.S. à court ou moyen terme, l'émergence d’un nouveau pôle à gauche paraît donc peu crédible.

Depuis trop longtemps à son goût, la Ligue cherche désespérément la recomposition de la gauche. Devant l'échec prévisible de son projet et lasse d’attendre, la L.C.R. pourrait bien décider de se saborder pour rejoindre, faute de mieux, l’un des pôles existant.

…au Parti socialiste

Du côté des Verts, la porte est définitivement close, Voynet aurait bien trop peur d’y perdre au passage le contrôle de son parti. à la vue du fonctionnement interne du P.C. et de sa culture militante particulière, l’immersion dans le P.C. offre peu de perspectives politiques.

Par élimination, il reste le P.S. où le terrain est déjà balisé. Ancien numéro deux de la Ligue, Henri Weber est aujourd'hui sénateur et bras droit de Fabius. Mais c’est avant tout dans la Gauche socialiste que la L.C.R. entretient de nombreux relais.

Après avoir quitté la Ligue au début des années quatre-vingt pour rejoindre le P.S., un groupe d’une bonne centaine de militants, autour de Dray, a conservé sa cohésion et constitue encore aujourd'hui l’essentiel des cadres de la Gauche socialiste. Affichant une attitude critique par rapport au gouvernement, la Gauche socialiste pourrait bien être le rivage où la L.C.R. viendra s'échouer, dans quelques années D’ici là, des groupes d'éclaireurs impatients d’obtenir une petite parcelle de pouvoir ne manqueront pas d’ouvrir la voie (5).

Patrick - groupe Durruti (Lyon)

(1) Le Monde, 3 février 1998.

(2) Cette minorité prône le rapprochement avec la Voix des travailleurs (une dissidence de Lutte ouvrière) et Alternative libertaire.

(3) Cet " acquis militant " est un atout indéniable pour tous les ex-trotskistes qui décident d’embrasser une carrière politique " traditionnelle ".

(4) Dans le mouvement des chômeurs, la Ligue a donné des gages de son " attitude responsable ". Aguiton, dirigeant de S.U.D. et d’A.C ! a rencontré, à plusieurs reprises, Cambadélis, numéro deux du P.S. et ex-éminent trotskiste lui-même mais d’une autre chapelle, pour le rassurer : " Nous ne cherchons pas la crise " Le Monde du et 18 et 19 février 1998.

(5) Dernier transfuge en date, Gérard Filoche, dirigeant historique de la Ligue pendant trente ans, a rejoint Julien Dray, son ancien lieutenant, pour devenir, après une rapide " période probatoire ", le porte-parole de la Gauche socialiste dans le débat sur les 35 heures tout en se voyant réserver une place éligible sur une liste socialiste lors des prochaines élections régionales.